18 oct. 2022
Agriculture cellulaire : où en est-on ?
Il y avait l’agriculture vivrière. Depuis, il y a l’agriculture professionnalisée, qu’elle soit raisonnée, biologique, ou intensive. S’en suit dans la chaine de valeur agroalimentaire, la transformation : qu’elle soit artisanale ou industrielle.
Et si une nouvelle voie, combinant production et transformation, se dessinait ? L’agriculture cellulaire porte l’idée de pouvoir produire, en laboratoire, des produits alimentaires, notamment carnés… mais sans origine animale, afin de répondre aux problématiques environnementales et de bien-être animal liées à l’élevage.
Alors que le nombre de start-ups et les investissements dans le domaine se développent, et que les technologies permettent d’offrir de nouvelles solutions de production en laboratoire, des freins demeurent : coût de la production, acceptation des consommateurs notamment. Alors, où en sommes-nous réellement en agriculture cellulaire ?
Des technologies disponibles
Lorsque je pense à l’agriculture cellulaire, ou à la production d’aliments « in vitro », je pense en premier lieu aux technologies de synthèses de cellules souches animales. « Il s’agit d’une technologie issue des innovations dans la médecine régénératrice, et transposée dans le domaine alimentaire », résumait Céline Laisney lors de son intervention au Colloque « La Viande cellulaire : est-ce possible ? Est-ce bon ? Est-ce acceptable ? » organisé en novembre 2021 par l’Académie d’agriculture de France et de l’Association Française de Zootechnie (à revoir sur ce lien). En prélevant des cellules souches sur un animal, en les nourrissant et en les cultivant en laboratoire (contrôle de la température, de l’apport en oxygène, etc.), cette technologie rend possible la prolifération de ces cellules. Puis leur maturation en fibres musculaires permet enfin d’obtenir un produit qui se rapproche fortement de la viande, du poisson, ou autre. C’est la technologie utilisée par la start-up israélienne Aleph Farm, ou les californiennes Eat Just et Upside Foods (anciennement Memphis Meats), qui proposent chacune leur « poulet » de laboratoire.
D’autres technologies se développent en parallèle, comme la fermentation de précision. Celle-ci utilise des hôtes microbiens comme « usines cellulaires » pour produire d’autres ingrédients. Par exemple, la start-up finlandaise Solar Foods utilise la fermentation de précision pour produire une protéine riche en nutriments et en vitamines, baptisée Solein, à partir d’un microbe nourri à l’hydrogène et au dioxyde de carbone issu de l’atmosphère. La technique de fermentation de précision est également utilisée par The Every Company (ex Clara Food, protéines d’œufs), Formo (protéines laitières), Melt&Marble (graisses), Motif FodWorks (myoglobine, protéines de viande sans animaux), ou encore Remilk et Bon Vivant (produits laitiers). En savoir plus dans notre article Microbiologie : quelles sont les dernières innovations technologiques ?.
L’agriculture cellulaire n’est donc plus de la science-fiction… mais elle reste néanmoins très récente.
Les premières expériences d’agriculture cellulaire datent du début des années 2010. En 2015, la première start-up dans ce domaine a vu le jour : Memphis Meat (aujourd’hui Upside Foods), validant ainsi l’étape de « preuves de concept ». Depuis les années 2020, selon Digital Food Lab, nous sommes entrés dans une période de régulation et de faisabilité, avec le lancement des premières marques commerciales dans quelques pays (Singapour notamment, où les nuggets de poulet de Eat Just sont autorisés pour la commercialisation depuis décembre 2020) : une étape qui permettra de prouver si un passage à une économie d’échelle est possible dans ce domaine.
Des investissements prometteurs
Plus de 80 start-ups à travers le monde innovent aujourd’hui en agriculture cellulaire. Sont ainsi produits : morceaux de viande bien sûr, et notamment de poulet, mais également poissons, produits laitiers, œufs, et même… coquillages et fruits de mer avec Shiok Meats pour les crevettes ou encore l’arrivée récente d’une start-up danoise, Pearlita Foods, proposant les premières huîtres de laboratoire au monde.
Ces start-ups sont à l’origine de nombreuses levées de fonds chaque année : une quarantaine d’entre elles auraient en effet d’ores et déjà levé des fonds auprès d’investisseurs, dévoilant l’intérêt des marchés pour leurs technologies (source : AlimAvenir). Et en effet : les investissements dans l’agriculture cellulaire explosent véritablement. Alors qu’ils ne représentaient que 6 millions de dollars en 2016, ils sont passés à 366 millions en 2020, soit une croissance de 6 000% !
À date, les levées de fonds les plus remarquables ont été (chiffres de novembre 2021) : 267 millions de dollars pour Eat Just, 206 millions pour Upside Foods, 172,8 millions pour Meatable et 131,4 millions pour Aleph Farms (source). A noter que ces investissements, s’ils sont réalisés en partie par les GAFA, sont aussi le fait d’industriels de la viande, de la nutrition animale, voire de l’agroalimentaire non-carné à la recherche d’une diversification future.
Mais des freins à lever….
Mais la voie de l’agriculture cellulaire est-elle si dégagée que ça ? Entre coût de la production, et la question de l’acceptation des consommateurs, plusieurs barrières subsistent.
Le coût de la production a énormément diminué ces dernières années, passant de 1,2 million de dollars par livre en 2013 à 100 dollars par livre en 2019 selon Aleph Farms, soit un coût 10 000 fois inférieur. Mais cela reste malgré tout très élevé. Et pour cause : le sérum animal, indispensable à la croissance des cellules en laboratoire, est très cher. Pour réduire ces coûts, des partenariats se mettent en place avec des industriels de la pharmacie, des ingrédients ou de l’alimentation animale. Par exemple, Mosa Meat s’est associé à Merck KGaA et à Nutreco, notamment pour sécuriser leur chaine d’approvisionnement de sérum animal.
Un autre frein est celui de l’acceptation des consommateurs, qui diffère beaucoup à travers le monde. En effet, les consommateurs asiatiques semblent plutôt curieux et prêts à consommer de la viande de synthèse : 59% des consommateurs chinois et 48% des consommateurs indiens se disent « très ou extrêmement susceptibles » d’en acheter (source). Au contraire, en France, selon une étude réalisée par Harris Interactive en février 2021, à la question « Comment compenseriez-vous votre apport en protéines si vous mangiez moins de viande ? », seuls 8% des répondants affirment qu’ils mangeraient certainement de la viande de synthèse… contre 30% qui se tourneraient plus facilement vers les légumineuses et 27% vers les céréales ou graines. Ils sont en revanche 50% à affirmer qu’ils ne mangeraient « certainement pas » de viande de synthèse : soit le plus haut résultat de rejet parmi toutes les solutions proposées (source). En Australie, une étude auprès de la génération Z (consommateurs nés entre 1995 et 2015) a dévoilé que 72% des répondant ne se disent pas prêts à accepter la viande de synthèse, bien qu’ils soient également 59% à indiquer être soucieux de l’impact environnemental de l’élevage (source).
Cette acceptation problématique tient en partie de la difficulté à positionner la viande de synthèse : quelle est sa consommation réelle des ressources environnementales, et peut-elle être une vraie alternative aux consommateurs cherchant à réduire leur empreinte carbone ? Puisqu’il s’agit de « viande » malgré tout, est-ce une alternative suffisante pour les consommateurs préoccupés par le bien-être animal ?
Pour aller plus loin
Si nous sommes encore loin d’un produit accessible par les consommateurs au quotidien, que ce soit en termes de volume de production, de coût ou d’acceptation, l’innovation derrière ces technologies reste extrêmement prometteuse. A condition que la réglementation, encore floue en Europe sur le sujet, progresse favorablement. Pour ma part, je serais curieuse de pouvoir y goûter !
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Vikijqh
03 novembre 2022 à 03h37
HUYSMAN
18 octobre 2022 à 03h18