06 avril 2021 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies
Arômes : quand les messages influencent la perception des produits alimentaires
La perception des produits alimentaires par les consommateurs dépend de nombreux facteurs, intrinsèques et extrinsèques. Parmi ces derniers : les allégations relatives aux produits, notamment associés au « bon goût » ou à la « bonne santé ». Quelle influence ces messages ont-ils sur la perception aromatique des produits alimentaires ? Résultat d’une étude appliquée au comté.
Pourquoi s’y intéresser ?
- La perception aromatique des produits alimentaires est soumise à de nombreuses influences
- La perception aromatique impacte également la quantité consommée, via le processus de rassasiement sensoriel spécifique
- La perception olfactive est fortement liée aux émotions et aux préférences chez les êtres humains.
- Comprendre comment les consommateurs perçoivent les arômes des produits alimentaires permet de contribuer à éclairer la façon dont s’opèrent leurs choix.
La perception, l’appréciation et la sélection des produits alimentaires par les consommateurs dépendent d’un grand nombre de facteurs. Si la perception des aliments est influencée par leurs propriétés sensorielles intrinsèques, elle l’est aussi, et de façon remarquable, par un ensemble de facteurs extrinsèques. Parmi ceux-ci, les allégations relatives aux produits (ou « labels » dans la terminologie anglosaxonne) ont fait l’objet de nombreuses études concernant l’influence de la perception gustative. En revanche, peu d’études se sont intéressées à l’influence des allégations sur la perception des arômes.
Dans ce contexte, l’unité de recherche LINC (Laboratoire de recherches Intégratives en Neurosciences et psychologie Cognitive), de l’Université de Bourgogne Franche-Comté, a exploré le rôle et l’influence des allégations sur la perception de l’intensité aromatique d’un fromage : le comté.
Laurence JACQUOT
Laurence Jacquot est maître de conférence au Laboratoire de recherches Intégratives en Neurosciences et psychologie Cognitive (unité de recherche LINC) à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, à Besançon. Ses projets de recherche portent sur l’étude des modalités olfactive et trigéminale (c’est-à-dire en lien avec le nerf trijumeau) dans les processus de perception et de traitement de l’information olfactive, et en particulier sur le rôle de la nature des stimuli odorants (notamment leur valence hédonique) dans ces différents processus.
Un premier axe de ses travaux de recherche concerne l’exploration de la fonction chimio-sensorielle et les réponses affectives aux odeurs chez différentes catégories d’individus : sains, pathologiques et/ou âgés, en cours de développement (âge scolaire). Un deuxième axe porte sur le lien général entre olfaction et comportement alimentaire et sur l’influence de facteurs cognitifs sur ces deux fonctions. D’autres études portent sur l’influence de l’exposition à différentes catégories d’odeurs sur les intentions de choix alimentaires via l’exploration visuelle d’images alimentaires et non alimentaires. Enfin, Laurence Jacquot mène actuellement une étude sur l’influence de la voie de stimulation (ortho vs rétronasale) sur la perception hédonique des odeurs, avec application aux arômes du comté.
Le laboratoire « Recherches Intégratives en Neurosciences et Psychologie Cognitive »
Dirigé par Emmanuel Haffen, le Laboratoire de Recherches Intégratives en Neurosciences et Psychologie Cognitive de l’Université de Bourgogne Franche-Comté développe deux axes thématiques de recherche :
- Prise de décision, récompense. Cet axe de recherche a pour objet d’étudier les mécanismes physiopathologiques de la prise de décision à l’aide de différents outils (électrophysiologie, imagerie, mesures de l’olfaction, évaluation des mécanismes de l’inflammation) ainsi que l’effet et les mécanismes d’action des techniques de stimulations transcrâniennes non invasives ;
- Perception, hédonie. Cet axe de recherche se focalise sur des aspects liés aux émotions qui sont étudiées en situation expérimentale. Dans le cadre des inducteurs d’émotions, les chercheurs s'intéressent en particulier à certaines stimulations sensorielles, notamment olfactives.
La perception d’un produit alimentaire : domaine sous influence !
La perception, l’appréciation et le choix des produits alimentaires par les consommateurs dépendent d’un grand nombre de facteurs : des facteurs biologiques (âge, sexe), des facteurs émotionnels ou liés à l’individu (personnalité, priorité), des facteurs socio-économiques, et également des facteurs culturels et religieux.
En plus de ces facteurs liés aux consommateurs eux-mêmes, interviennent aussi des facteurs liés aux produits alimentaires : ceux-ci peuvent être intrinsèques ou extrinsèques. Ces dernières années, de nombreuses études se sont penchées sur l’influence des facteurs intrinsèques et extrinsèques d’un produit alimentaire sur sa perception par les consommateurs.
L’influence des facteurs intrinsèques
Les facteurs intrinsèques sont en lien direct avec les qualités organoleptiques d’un aliment : couleur, odeur, texture, arômes, etc. On sait aujourd’hui, grâce à de nombreuses études réalisées sur cette question, que ces signaux vont énormément influencer la perception et l’évaluation des produits alimentaires par les consommateurs. « Parmi tous les aspects des produits, la couleur est de loin le paramètre visuel le plus étudié, depuis plusieurs décennies », confirme Laurence Jacquot.
Par exemple, tout le monde a en tête l’expérience qui consiste à colorer du vin blanc en rouge : même auprès d’experts (en l’occurrence, des étudiants en œnologie), le cerveau des consommateurs est trompé. Sur l’influence de la couleur également, une étude menée en 1980 a montré que l’ajout de colorants biaisait le jugement quant à l’identification des arômes : près de 20% des participants à cette étude étaient ainsi convaincus de boire une boisson à l’orange, car celle-ci était colorée en orange, alors qu’elle était à la cerise. « Globalement », résume Laurence Jacquot, « les résultats de toutes les études réalisées sur ce sujet indiquent que les individus, sur la base de leur expérience, associent certains arômes ou certaines saveurs à des couleurs spécifiques… »
Le jugement hédonique (c’est-à-dire, l’évaluation du caractère plaisant ou déplaisant) d’un aliment n’est pas seulement influencé par son odeur, sa saveur ou sa couleur, mais aussi par sa texture en bouche, et par les sons créés lors de la mastication (le craquant d’une chips, le croustillant d’un feuilleté, le croquant d’une pomme).
« Alors, on peut facilement imaginer l’impact que cette influence de perception peut avoir sur la consommation d’un produit alimentaire, sur l’appétit que l’on a face à celui-ci, voire, sur notre intention d’achats. »
L’influence des facteurs extrinsèques
Il s’agit ici des facteurs non sensoriels, comme le prix, la marque, l’emballage, l’information et les allégations (ce qu’on appelle « label » dans la terminologie anglosaxonne utilisée en général par les chercheurs) associées aux produits alimentaires. « De nombreuses études réalisées dans ce domaine montrent que les allégations influencent beaucoup d’évaluation sensorielle, la palatabilité des aliments (c’est-à-dire, leur appréciation hédonique), les choix et les préférences alimentaires des consommateurs », résume Laurence Jacquot.
Par exemple, une étude menée en 2009 (Okamoto et al.) a démontré que des solutions aqueuses contenant quelques saveurs de base présentées étaient jugées plus plaisantes et plus familières lorsqu’associées à des noms d’aliments (« citron », « bonbon au caramel », « potage » …) que lorsque présentées avec des numéros aléatoires (« solution 23 »).
« De la même façon, le fait de mentionner le nom de certains ingrédients peut biaiser, positivement ou négativement, la perception sensorielle d’un produit », poursuit Laurence Jacquot. Ainsi, une étude menée en 2002 a mis en évidence qu’une barre énergétique portant la mention « contient du soja » était évaluée comme granuleuse et fade, comparativement au même produit présenté sans aucune mention (Wansink and Park). « En réalité, aucune des deux barres ne contenait de soja ! », précise Laurence Jacquot. « Ce qui suggère que la projection, ou l’horizon d’attente, créée par l’information donnée influence énormément la perception du produit alimentaire. »
D’autres études se sont également penchées sur l’influence des allégations associées à des produits alimentaires sur la perception de leur caractère sain. Par exemple, plusieurs études ont démontré que les aliments « bio » obtiennent une meilleure évaluation nutritionnelle (moins calorique, meilleure teneur en fibre), et sont perçus comme étant meilleurs pour la santé que les mêmes produits affichés conventionnels (Lee et al., 2013). En revanche, ils peuvent également être jugés moins bons au goût (Schuldt and Hannahan, 2013).
Perception des arômes : un double effet des allégations
« Toutes ces études se sont davantage intéressées à l’évaluation du caractère hédonique ou du caractère sain des produits alimentaires », ajoute Laurence Jacquot. « Nous, nous avions envie d’aller plus loin en nous intéressant à la perception sensorielle en tant que telle, avec la perception des arômes et de leur intensité. Car il s’agit d’un des éléments essentiels sur l’appréciation de l’aliment et de son choix par les consommateurs. »
Le comté : un bon modèle d’étude
Le Laboratoire de Recherches Intégratives en Neurosciences et Psychologie Cognitive de Besançon, en collaboration avec le CSGA de Dijon, a alors proposé au CIGC (Comité Interprofessionnel du Gestion du Comté) de Poligny de mener une étude visant à examiner l’influence potentielle du label sur la perception des arômes dans le Comté. « Le comté, par sa richesse et sa diversité des arômes, , nous a semblé un bon modèle d’étude. »
Déroulé de l’expérimentation
« L’objectif de notre étude était de déterminer comment la perception des arômes va être influencée chez les consommateurs, selon que l’on associe un label santé ou un label bon goût. »
L’expérimentation a porté sur un panel de 90 participants, étudiants de l’Université de Bourgogne Franche-Comté, d’une moyenne d’âge de 23 ans, non formés à l’évaluation sensorielle. Deux fromages ont été utilisés : un comté de 18 mois, et, en tant que « fromage contrôle », un emmental plutôt insipide.
Pour chaque fromage, 3 groupes de 30 participants, répartis de manière aléatoire, ont été organisés :
- un groupe « bon pour la santé » : à qui l’on donnait l’allégation que le « fromage à déguster est réputé pour ses qualités nutritionnelles, ses bénéfices pour la santé avec une teneur élevée en en calcium et en protéines »
- un groupe « bon goût » : à qui l’on précisait que le « fromage à déguster est réputé pour ses qualités gustatives, sa texture agréable et la variété de ses arômes »
- un groupe contrôle, à qui l’on ne donnait aucune information sur le fromage à déguster.
Dans chaque groupe, la consigne était d’évaluer l’intensité d’un des arômes suivants, sur une échelle allant de 0 (=absent) à 10 (=extrêmement présent), à chaque dégustation d’un cube de fromage : abricot, champignon, caramel, café, orange, poivre, pamplemousse, noix, lait et vanille.
Les notes de chaque arôme ont ensuite été additionnées par les chercheurs afin d’obtenir un score total, allant de 0 à 100, et correspondant à « l’intensité globale » de perception des arômes du fromage.
« Bon goût », « bon à la santé » ? Le double effet
« De manière très significative, nous avons pu démontrer le double effet d’une allégation », se rappelle Laurence Jacquot. « Ainsi, le label « bon goût » augmente l’intensité des arômes perçus, et le label « santé » est associé à plus faible intensité des arômes. »
Mais Laurence Jacquot souligne l’importance d’avoir un produit alimentaire intrinsèquement riche en arôme : « en effet, nous n’avons pas constaté ces résultats pour l’emmental. Notre hypothèse est que l’emmental n’a pas assez d’intensité aromatique. »
Plus d’hypothèses à clarifier
Pour Laurence Jacquot, le monde de l’olfaction, des arômes et de leur perception est fascinant. « C’est un monde vaste, sous influence de notre environnement, des stimuli sensoriels, des émotions, de troubles ou de pathologies, et qui impacte de multiples comportements, comme le comportement alimentaire ou les interactions sociales. Aujourd’hui, il est largement admis que la perte de l’odorat est associée à une diminution de la qualité de vie, et bien souvent, à des syndromes dépressifs – que l’actualité liée à la pandémie a permis de mettre en évidence. »
En parallèle, le processus des choix et préférences alimentaires est extrêmement complexe. Suite à cette expérimentation, d’autres hypothèses restent à clarifier quant à l’influence des allégations sur la perception aromatique d’un produit alimentaire – et la préférence des consommateurs pour celui-ci.
Une influence qui varie avec l’âge : l’hypothèse d’une résistance ?
L’équipe de recherche de Laurence Jacquot a reproduit l’expérimentation sur le comté avec des groupes de participants plus âgés.
« Les résultats sont éloquents », confirme-t-elle : « en effet, l’effet lié aux allégations est présent uniquement chez le groupe des jeunes (15-26 ans). Chez le groupe des plus âgés (30-65 ans), l’impact de l’allégation est moindre. »
Parmi les hypothèses pour expliquer cette variabilité, Laurence Jacquot mentionne une meilleure information par rapport au produit. « Il y a peut-être aussi une forme de résistance aux influences, développée grâce à l’expérience des produits. Enfin, nous pensons à l’hypothèse que l’allégation « bon à la santé » prend plus d’importance, et est associée de manière plus positive, avec l’âge. »
Perception des arômes et consommation alimentaire
Pour Laurence Jacquot, les résultats de l’étude amènent d’autres questionnements : « nous aimerions savoir si les modifications de la perception des arômes d’un aliment, induites par ces deux types d’allégations, sont susceptibles d’affecter la prise alimentaire subséquente ».
Les résultats d’études antérieures montrent que la perception « santé » d’un aliment est inversement corrélée au rassasiement.
Son hypothèse est que cet effet pourrait être en partie lié à une qu’une moindre perception des arômes, qui amènerait donc à une consommation subséquente plus importante.
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur les travaux de recherche menés par le Laboratoire de recherches Intégratives en Neurosciences et psychologie Cognitive, ou pour être mis en relation avec Laurence Jacquot, contactez Mélissa Nourry : melissa.nourry@vitagora.com.
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Mots clés
Alimentation, allégation, sensorialité, olfaction, arômes, influence
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Ingénieure diplômée de Montpellier Supagro en dominante agroalimentaire et convaincue par le caractère indispensable du secteur agroalimentaire, Mélissa apprécie la diversité de son quotidien, de ses projets, et de ses interlocuteurs à Vitagora. De nature très impliquée dans ce qu’elle entreprend, curieuse des expériences entrepreneuriales (notamment dans le cadre d’EcoTrophelia), dotée d’une culture en marketing et spécialisée en management des entreprises, des personnes et de l’innovation, Mélissa saura accompagner votre entreprise dans son développement
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