05 juillet 2018 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies
La brazzéine, une protéine au goût sucré et aux propriétés hors normes
Dans une démarche globale de réduction des sucres dans les produits alimentaires, les protéines au goût sucré sont une alternative encore peu répandue mais à fort potentiel. La brazzéine, notamment, possède des propriétés très intéressantes pour l’industrie agroalimentaire. Quelles sont ces propriétés ? Comment peut-on la produire à échelle industrielle ? Quels sont les avantages et les inconvénients de cette protéine ?
Pourquoi s’y intéresser ?
- Accompagner les consommateurs dans la réduction de sucre ingéré est une démarche encouragée par les organisations de santé comme l’OMS et l’ANSES.
- Elle fait l’objet de nombreuses recherches, notamment sur sa production à l’échelle industrielle.
- Il est possible, par génie génétique, d’augmenter le pouvoir sucrant de la brazzéine.
- Dans un mélange sucres/brazzéine, comme un exhausteur de goût, elle augmente le pouvoir sucrant des sucres.La brazzéine est une protéine naturelle encore non commercialisée mais possédant des propriétés édulcorantes intéressantes pour l’industrie agroalimentaire.
Bien plus qu’un sens inné, la gustation permet d’évaluer la qualité des aliments et de détecter les molécules potentiellement riches en énergie. C’est d’ailleurs le rôle physiologique du goût sucré qui nous amène à apprécier et à consommer des aliments riches en sucres (saccharose, glucose, fructose, galactose, lactose, amidon, …). L’attirance pour le sucre est naturelle chez l’Homme et se retrouve même dans le règne animal jusqu’aux insectes (fourmis, papillons, …).
Dans une démarche d’amélioration et de promotion de la santé des consommateurs, l’industrie agroalimentaire voit son utilisation de sucre diminuer pour proposer des produits moins chargés en sucres. L’Organisation Mondiale de la Santé recommande de consommer moins de 50gr de sucre par jour (soit 12 cuillères à café) pour les adultes et les enfants afin de réduire le risque de surpoids ou d’obésité. Or d’après une étude CREDOC (CCAF 2010), les Français consommeraient en moyenne 100gr de sucre par jour, soit deux fois plus.
Deux stratégies se démarquent pour diminuer les quantités de sucre ingérées par les consommateurs : substituer les sucres par des édulcorants (molécules naturelles ou synthétiques au goût sucrant n’apportant pas ou peu de calories) ou diminuer la quantité de sucre mais augmenter son intensité grâce à des exhausteurs de goût sucré. Parmi les édulcorants, nous retrouvons par exemple l’aspartame, le sucralose, le cyclamate ou encore la saccharine. L’un des problèmes rencontrés avec ces agents sucrants est la différence de goût avec le sucre de table, pas toujours agréable.
Il existe cependant d’autres molécules naturelles, des protéines encore rares dans l’alimentation humaine mais avec un goût sucré intenses, notamment la brazzéine. Cette protéine est issue du fruit (extrêmement sucré sans contenir de sucre) d’un arbuste grimpant africain (Pentadiplandra brazzeana) consommé par les populations locales et les singes du Gabon. Elle est de 500 à 2000 fois plus sucrée que le sucre de table et possède des propriétés très intéressantes pour l’industrie agroalimentaire : stabilité, digestibilité et capacité de synergie.
Directeur de recherche INRA au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation de Dijon, Loïc Briand nous apporte son point de vue d’expert sur cette protéine au goût sucré, sur la complexité de sa production et ses avantages non négligeables.
Loïc Briand
Une carrière scientifique autour des sens
À la suite d’un parcours universitaire, Loïc Briand réalise une thèse sur la protéolyse des protéines laitières à l’INRA de Nantes puis 2 ans d’études post-doctorales en Ecosse. Travaillant tout d’abord sur l’olfaction et plus précisément sur les protéines de transport de molécules odorantes, Loïc se tourne ensuite vers l’étude du goût en intégrant le CSGA. Maintenant directeur de recherche INRA spécialisé en biochimie et biologie moléculaire, il étudie la perception des molécules responsables du goût et leurs interactions avec les récepteurs du goût.
Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA)
Créé en 2010, le CSGA est une unité mixte de recherche sous la tutelle d’AgroSup Dijon, du CNRS, de l’INRA et de l’Université de Bourgogne. Avec 10 équipes de recherche, la plateforme ChemoSens et des services d’appui à la recherche, le but du CSGA est de mieux comprendre le comportement alimentaire, sa régulation et ses conséquences sur le bien-être et la santé. Analyse physico-chimique, physiologie orale, phénomènes sensoriels et cognitifs, mécanismes biologiques ou encore comportements et préférences alimentaires : toutes les facettes de l’alimentation et du goût sont étudiées.
La brazzéine
Une protéine spéciale au goût sucré
« En général, les protéines ont peu de goût. Si on prend une protéine de lait pure ou du blanc d’œuf, il n’y a pas de saveur », précise-t-il. Or, la brazzéine est l’une des rares protéines à avoir un goût sucré intense. Ce qui en fait une protéine hors norme, ce sont ses propriétés physico-chimiques : « Elle est très stable à la température : elle peut tenir 4h à 80°C sans être dénaturée. Elle résiste aux variations de pH et est active à pH acide, ce qui peut être important pour la conception de boisson ou de produits laitiers. Elle possède un goût assez proche de celui du sucre. Elle est également digérée au niveau de l’estomac, ce qui peut être intéressant pour lutter contre le diabète », énonce Loïc.
Une protéine spéciale mais difficile à obtenir
L’arbuste africain produisant cette protéine à l’intérieur de ses fruits est difficile à trouver et difficile à cultiver. Il n’est donc pas possible à l’échelle industrielle d’en extraire la brazzéine. Face à ce problème, Loïc Briand et son équipe ont trouvé une solution : « nous produisons des formes recombinantes de levures pichia pastoris, par génie génétique, pour qu’elles produisent la brazzéine. » En effet, il est possible de modifier la séquence ADN d’une levure pour qu’elle produise dans son milieu de culture une protéine qu’elle ne synthétisait pas avant. C’est ce qu’on appelle une protéine recombinante. « Pour obtenir des quantités assez importantes, il fallait optimiser le système d’expression. Il y a eu un gros travail sur les souches et sur les conditions de culture. Comparé à la stévia ou à l’aspartame par exemple, qu’on trouve en abondance, c’est beaucoup plus coûteux et il faut donc optimiser au maximum le procédé. »
Une production controversée mais avantageuse
Cette recombinaison génétique conduit donc à la production d’une molécule issue d’un microorganisme génétiquement modifié. Cela crée des contraintes réglementaires non négligeables. Les produits dérivés des OGM relèvent du règlement (CE) n° 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires. L’utilisation confinée de microorganismes génétiquement modifiés est régie par la directive 90/219/CEE telle que modifiée par la directive 98/81/CE du Conseil dans la recherche et l'industrie. Des dossiers doivent être déposés à l’EFSA (European Food Safety Authority) afin d’évaluer la sécurité sanitaire du composé. « L’image du produit issu d’OGM pose soucis dans certains pays, dont la France mais moins pour les USA ou la Chine », ajoute Loïc.
Cependant l’ingénierie génétique apporte l’avantage de pouvoir améliorer la protéine. « Nous avons réussi à produire des variants qui sont beaucoup plus sucrés que la brazzéine originale », indique-t-il. L’objectif serait maintenant de « produire des variants de brazzéine non sucré mais qui, en synergie avec par exemple du fructose, augmenteraient le pouvoir sucrant ». Dans ce cas-là, la brazzéine ne serait plus un édulcorant mais « un ingrédient que l’on pourrait retrouver dans les boissons ».
Le goût sucré
Comment est-il détecté ?
La langue est composée de papilles du goût. Elles contiennent des bourgeons du goût exprimant des récepteurs. « Les récepteurs au goût sucré, chez l’homme, sont composés de deux sous-unités T1R2 et T1R3 qui s’assemblent pour former un récepteur », explique Loïc. « La première étape de la détection est la solubilisation des molécules sucrées dans la salive. Ces molécules vont venir activer le récepteur activant une cascade de signalisation biochimique appelée transduction, qui va conduire à la génération d’un message nerveux vers le cerveau. »
Synergie entre le sucre & la brazzéine
« Nous nous sommes rendu compte que la brazzéine était capable de faire des synergies avec le sucre. Si on prend du fructose et qu’on ajoute un peu de brazzéine, nous obtenons un goût sucré plus intense. » Cet effet exhausteur s’explique par le fait que le mécanisme d’activation du récepteur au goût sucré n’est pas le même entre le sucre et la brazzéine. Comme le mentionne Loïc : « le sucre et les édulcorants classiques sont de petites molécules alors que la brazzéine est 50 fois plus grosse ». Le mécanisme d’activation ne peut donc pas être identique (même si à ce jour il n’est pas connu). En utilisant du sucre et de la brazzéine, « nous pouvons activer ces deux mécanismes pour obtenir cet effet exhausteur », conclut-il. « L’objectif futur sera de découvrir le mécanisme d’action de la brazzéine ».
PetFood
Les protéines au goût sucré, en plus d’être intéressantes pour l’alimentation humaine, peuvent également être utilisées pour la Petfood. De l’amélioration de production de denrées pour animaux domestiques à l’alimentation des animaux d’élevage, « il pourrait être intéressant de développer des produits appétants pour eux, à bas coût, grâce à la brazzéine », indique Loïc. « Par exemple, les veaux et les porcs en fin de sevrage ont parfois du mal à s’alimenter et il pourrait être intéressant de les aider à faire cette transition d’une alimentation liquide à solide ». Les possibilités d’incorporation de ce type de protéines sont donc également à étudier pour l’alimentation animale.
Pour en savoir plus sur les travaux de Loïc Briand ou pour être mis en relation avec cette équipe de recherche, contactez Elodie Da Silva, chargée de projets à Vitagora : elodie.dasilva@vitagora.com.
Les mots-clés
Goût, sucre, protéines, brazzéine, plante, édulcorant, génie génétique, levures, santé, alimentation
Envie d'aller plus loin ?
- L’amertume sentinelle du système immunitaire - article publié dans la revue Science n° 473 – Mars 2017 à télécharger ici
- Belloir, C., Savistchenko, J., Neiers, F., Taylor, A.J., McGrane, S., and Briand, L. (2017a). Biophysical and functional characterization of the N-terminal domain of the cat T1R1 umami taste receptor expressed in Escherichia coli. PloS One 12, e0187051.
- Belloir, C., Neiers, F., and Briand, L. (2017b). Sweeteners and sweetness enhancers. Curr. Opin. Clin. Nutr. Metab. Care 20, 279–285.
- Poirier, N., Roudnitzky, N., Brockhoff, A., Belloir, C., Maison, M., Thomas-Danguin, T., Meyerhof, W., and Briand, L. (2012). Efficient production and characterization of the sweet-tasting brazzein secreted by the yeast Pichia pastoris. Agric. Food Chem. 60, 9807–9814.