07 juin 2019 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies

Révéler la disposition à payer des consommateurs : les apports de l’économie expérimentale

 

Compétences et expertise

 

Avez-vous intérêt à vendre votre produit sous label bio ? Allez-vous pouvoir répercuter le coût de votre nouvel emballage sur votre prix de vente ? Comment tester vos hypothèses de vente, avant de valider la modification d’un paramètre de votre produit (ingrédients, recette, etc.) ? Alors que les enquêtes aux consommateurs permettent d’obtenir du déclaratif, il est possible de révéler la disposition à payer des consommateurs de manière scientifique grâce à l’économie expérimentale.

 

Pourquoi s’y intéresser ?

  • Evaluer la disposition à payer des consommateurs est complexe, et les enquêtes de consommateurs se limitent à une valeur déclarative qui n’engagèrent en rien les individus interrogés.
  • L’économie expérimentale est une méthode scientifique, alternative aux méthodologies traditionnelles d’étude des consommateurs
  • L’économie expérimentale permet de confronter un produit et ses caractéristiques (propriétés sensorielles ou physiques, procédés de production, origine…) à une réalité de marché
  • Il s’agit d’une méthode fiable et solide, qui se déroule en laboratoire pour en optimiser la valeur révélatrice

Votre vin se vendrait-il mieux s’il était labellisé « AB » ? Quel montant vos consommateurs sont-ils prêts à payer pour votre gamme de biscuiterie, si vous n’utilisiez que du blé produit localement selon des méthodes agroécologiques ? Si vos bouteilles n’étaient plus en plastique jetable mais en verre consigné, est-ce que cela suffirait à séduire les consommateurs face à des produits concurrents ?

 

Estimer le comportement des consommateurs devant une situation économique, et notamment leur disposition à payer, est complexe et fait appel à de nombreux paramètres. L’économie expérimentale a pour objectif d’apporter des réponses scientifiques, en testant en laboratoire des hypothèses de comportement d’individus face à une situation économique donnée.

 

Née au début des années 1960, l’économie expérimentale connaît un véritable essor dans les années 1980 et continue à se développer, notamment suite à la remise du prix nobel de Sciences Economiques à Vernon Smith et Daniel Kahneman « pour avoir fait de l’expérience en laboratoire un instrument d’analyse économique empirique, en particulier dans l’étude de différentes structures de marché ». Jean-Christian Tisserand, professeur permanent au département Wine & Spirits de la Burgundy School of Business (BSB) à Dijon, nous présente la naissance, le fonctionnement et les avantages de l’économie expérimentale, à appliquer, entre autres, au domaine agroalimentaire.

 

EcoSec

Jean-Christian Tisserand

Jean-Christian Tisserand est professeur permanent au département Wine & Spirits de la Burgundy School of Business (BSB) à Dijon. Spécialiste de l’analyse économique des négociations, il a soutenu sa thèse en sciences économiques sur le sujet suivant : « Essais sur l’analyse économique de la négociation », en novembre 2016 à l’Université de Franche-Comté. Parmi ses domaines de  recherche, on trouve la microéconomie appliquée à la négociation et à la résolution de litiges, l’économie expérimentale, l’économie des vins et spiritueux, etc. En 2017, il rejoint le département School of Wine and Spirits Business de BSB, ce qui lui permet de mettre en application ses champs d’expertise économique au milieu viticole. CV en ligne.

 

School of Wine and Spirits Business - BSB

La School of Wine & Spirits Business a été créée en 2013 au sein de l’école de commerce BSB de Dijon. Il s’agit de la 1ère institution à travers le monde dédiée à la formation et la recherche en management des vins et des spiritueux, réunissant des chercheurs du monde économique et des chercheurs évoluant dans le milieu du vin. En plus de sa contribution à la recherche académique et appliquée la School of Wine and Spirits Business offre aux étudiants un cursus professionnalisant mixant théorie, cas pratiques, exposition au monde professionnel. Ce département de BSB est dirigé par Jérôme Gallo.

La disposition à payer : confronter vos innovations à la réalité du marché  

L’innovation agroalimentaire, qu’elle se fasse au niveau des méthodes agricoles, du choix des ingrédients, des process de transformation, de la recette, du packaging, ou autre, se confronte nécessairement à une réalité : le marché. Cette réalité de marché sous-tend deux enjeux : l’enjeu de l’acceptabilité de l’innovation par les consommateurs, et l’enjeu de la valeur des produits, c’est-à-dire, leur disposition à payer.

 

 

Si l’évaluation sensorielle reste fondamentale dans l’innovation agroalimentaire (et permet de répondre à l’enjeu d’acceptabilité), elle ne place pas les consommateurs en situation achat. Comment anticiper le choix d’un consommateur devant un rayon de produits similaires ? Pourquoi sa préférence irait à votre produit plutôt qu’à un autre ? Et quel prix sera-t-il prêt à mettre ?

 

Pour répondre à ces questions, il existe principalement trois options :

  • Les enquêtes aux consommateurs
  • L’observation in situ
  • L’économie expérimentale

Les limites des enquêtes aux consommateurs : le biais du déclaratif

Les résultats d’enquêtes aux consommateurs sont contestables, car ils reposent sur des déclarations d’intention et non sur des faits avérés. Les biais des répondants sont nombreux : quelle est leur part d’honnêteté ? De combien de temps disposent-ils au moment de l’enquête ? Sont-ils conscients de leurs préférences ? Et si oui, quel impact de cette prise de conscience sur l’orientation des réponses ? Quelles connaissances possèdent-ils sur le sujet ? Etc.

 

Ces limites se constatent régulièrement. On peut lire que les consommateurs semblent très majoritairement prêts à payer plus cher un produit plus éthique ou de qualité élevée : par exemple, ici pour un produit fabriqué en France, là pour un produit fabriqué en région, ou encore là pour de la viande de qualité garantie. Pour autant, le prix reste à 76% le premier critère à l’achat (source : Baromètre Opinion Way pour Sofinscope – 2016), devant le goût à 40% et la date de péremption à 39%. Comment faire alors la part des choses entre intention/motivation et réalité à l’achat ?

 

L’observation in situ : une méthode coûteuse et difficile à exploiter

L’observation in situ, si elle permet de vérifier une réalité en contexte, nécessite que le produit à étudier soit déjà disponible sur le marché. D’autre part, elle requiert des moyens importants et coûteux à déployer : eye-tracking, observateurs/chercheurs à déployer sur sites avec déplacements, etc. Enfin, si cette méthode est intéressante, elle reste d’ordre empirique et les résultats obtenus sont souvent hétérogènes, longs et complexes à traiter.  

 

L’économie expérimentale : une méthode scientifique fiable

« Révéler » le comportement selon des protocoles scientifique

L’économie expérimentale se positionne comme une méthode alternative. « Il s’agit d’un outil très puissant qui permet de décortiquer les préférences des individus dans toutes leurs dimensions », explique Jean-Christian Tisserand.

 

 « Cela prend la forme d’un jeu – ou expérience –, auquel nous soumettons plusieurs groupes d’individus volontaires et tirés au sort pour étudier leur comportement, leur aversion au risque, leur disposition à payer, etc. », détaille-t-il. Plusieurs critères permettent de distinguer l’économie expérimentale face aux enquêtes de consommateurs et à l’observation in situ :

  • un environnement contrôlé (laboratoire),
  • où les biais des consommateurs sont minimisés (absence de contextualisation),
  • avec des protocoles rigoureux, incluant des instructions, des incitations, des règles de jeu, etc., afin de rendre possible le traitement et l’analyse des résultats.

L’économie expérimentale marque le passage, pour le domaine des sciences économiques, de l’analyse empirique ou statistique à une science de laboratoire (lire paragraphe ci-dessous « L’économie expérimentale : une science »).

 

Jean-Christian Tisserand confirme la pertinence de la démarche expérimentale : « l’économie expérimentale se distingue des enquêtes aux consommateurs car elle ne repose pas sur les déclarations des individus, mais sur leur comportement révélé. De nombreuses études en économie expérimentale ont d’ailleurs prouvé que le déclaratif et le révélé donnent des résultats très différents. »

Une démarche transparente et engageante

L’une des clés de la réussite d’une démarche d’économie expérimentale est la transparence. « Pour garantir la transparence », précise Jean-Christian Tisserand, « les participants sont intégralement informés du protocole et il est interdit de leur mentir. Cela nous assure que les sujets ont une totale confiance aux instructions qui leur sont données et permet d’éviter la méfiance et les comportements non-spontanés. »

 

L’autre clé est l’engagement des participants. Cela passe par deux axes :

  • le gain réel de l’argent annoncé dans les règles du jeu (enchères, etc.)
  • une concentration optimisée grâce à l’organisation de l’expérience en laboratoire.

« Les participants n’ont pas accès à leur téléphone, et ne peuvent pas communiquer entre eux : cela permet d’éviter qu’ils ne s’influencent et de limiter la contamination des données. Au final, cela nous permet d’obtenir une somme d’observations indépendantes les unes des autres », détaille Jean-Christian Tisserand.

Exemple d’application : le vin bio

« Il existe de vraies attentes de la part des producteurs de vin autour de la question du label biologique ‘AB’ », raconte Jean-Christian Tisserand. « D’un côté, ils remarquent l’amplification de cette tendance chez les consommateurs. D’un autre, ils craignent des changements réglementaires et des contraintes de plus en plus strictes sur leur production. »

 

« Nous avons donc décidé de lancer une expérience sur la disposition à payer des consommateurs pour un vin issu de l’agriculture biologique. »

 

L’expérience se passe à BSB (à Dijon), dans une salle équipée d’une vingtaine d’ordinateurs, de brise-vues… et d’un caddie rempli de bouteilles à présenter aux participants. Si Jean-Christian Tisserand ne peut nous dévoiler le protocole de l’expérience, en cours de test, il nous précise qu’il s’agit de questionner un panel de plus de 200 consommateurs, certains néophytes et d’autres diplômés en dégustation, sur le prix qu’ils seraient prêts à mettre pour une bouteille – simplement à la lecture de l’étiquette (sans déguster le vin).

 

« On estime qu’il est nécessaire d’avoir au moins entre 100 et 200 participants pour que les résultats soient fiables. Il est également important que les panels mélangent des consommateurs novices et des consommateurs plus avertis. Nous affinerons bien entendu les résultats selon le niveau de connaissance des consommateurs, mais les retours d’experts sont toujours très intéressants à analyser comme tels », explique-t-il.

L’économie expérimentale : une science

Remise en cause de la théorie de la « maximisation de profits »

Depuis la fin du 19e siècle et jusqu’aux années 1980, l’analyse économique du comportement des consommateurs reposait essentiellement sur une vision théorique. La seule théorie scientifique, largement prédominante, était la théorie économique néo-classique selon laquelle l’homo economicus est un être rationnel tourné vers la maximisation du profit, c’est-à-dire, la recherche systématique d’un prix le plus bas possible pour une consommation la plus élevée possible.

Dans les années 1980 et 1990, deux « jeux » très simples ont fortement contribué à la mise en évidence des limites de cette théorie : le jeu de l’ultimatum et le jeu du dictateur.

« Le jeu de l’ultimatum » (1982) *

Un joueur A possède une somme d’argent, d’un montant X, à répartir entre lui-même et un joueur B. Le joueur B peut décider d’accepter l’offre, ou peut la refuser. S’il la refuse, la somme est détruite et aucun des deux joueurs ne reçoit de l’argent.

 

Selon la pensée néo-classique, le joueur A devrait proposer au joueur B la plus petite somme (supérieure à 0€), et le joueur B devrait l’accepter. En revanche, les résultats ont mis en lumière de nombreux facteurs qui rentrent en compte dans la prise de décision des joueurs : jalousie, envie, justice, propension/aversion au risque, réciprocité, etc. Des composantes non monétaires semblent donc guider les décisions des individus.

* Güth, W., Schmittberger, R., & Schwarze, B. (1982). An experimental analysis of ultimatum bargaining. Journal of economic behavior & organization3(4), 367-388.

« Le jeu du dictateur » (1994) *

Un joueur A possède une somme d’argent, d’un montant X, à répartir entre lui-même et un joueur B. Le joueur B n’a aucun pouvoir de véto ou de négociation. 

Selon la théorie néo-classique de la maximisation du profit, on s’attend à ce que le joueur A conserve 100% de la somme. En revanche, les résultats permettent de contester cette hypothèse : si 50% des joueurs A conservent la totalité de la somme, 25% la répartissent de façon équitable entre eux-mêmes et les joueurs B, et 25% leur versent entre une somme inférieure à la moitié.

Ce jeu démontre clairement qu’il existe d’autres facteurs impactant la disposition à payer d’un individu que la seule maximisation des profits : l’altruisme, l’empathie, par exemple. Plusieurs répétitions, avec modifications structurelles, de cette expérience (ex : si le joueur A voit ou pas le joueur B avant de prendre sa décision, si la somme X a été gagnée par le joueur A ou si on lui donne au démarrage, etc.) ont permis de mettre en évidence d’autres biais de décision, comme la fierté, le genre, les caractéristiques physiques, l’humeur, les traits de personnalité, etc.  

* Forsythe, R., Horowitz, J. L., Savin, N. E., & Sefton, M. (1994). Fairness in simple bargaining experiments. Games and Economic behavior6(3), 347-369.

 

Les mots-clés

Consommateurs, comportements, disposition à payer, marketing, marché

 

 

Elisabeth Lustrat

 

Pour en savoir plus...

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elisabeth.lustrat@vitagora.com

 

Envie d'aller plus loin ?

  • Lambert, E.A, Tisserand, J.C. (2018). Négociation contrainte et comportement de négociation, une analyse expérimentale, Revue Française d’Économie, Vol. 32, p.46-89
  • Tisserand, J.C. (2018). Do they act rationally? The ultimatum game, a meta-analysis of three decades of experimental research, The Empirical Economics Letters, Vol. 15, n°12, p.1235-1241
  • Tisserand, J.C. (2016). Le jeu de l’ultimatum, état de l’art et méta-analyse de 30 années de recherches expérimentales, Actualité économique, Vol. 92, n° 1-2, p. 289-314. 

 

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