04 octobre 2018 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies
Listeria monocytogenes, de nouvelles pistes pour limiter le risque de contamination alimentaire
La listériose est une infection engendrée par la consommation d’aliments contaminés par la bactérie Listeria monocytogenes. Si peu d’infections sont recensées chaque année, le taux de mortalité est élevé. Des mesures d’hygiène sont bien sûr mises en place en industrie agroalimentaire mais cette bactérie possède des caractéristiques qui lui permettent de survivre et de proliférer. Quelles sont ces caractéristiques ? Quelles sont les pistes apportées par la recherche pour l’éradiquer des ateliers agroalimentaires ? Quelles sont les variables qui modulent sa virulence et sa survie ?
Pourquoi s’y intéresser ?
- Listeria monocytogenes est une bactérie pathogène capable de proliférer sur les aliments et de provoquer en cas d’ingestion la listériose chez les populations fragilisées
- La transmission de la bactérie à l’Homme se fait à 99% par la voie alimentaire
- Listeria monocytogenes est capable de proliférer aux températures de réfrigération et de persister dans les ateliers et équipements agroalimentaires
- Pour la sécurité sanitaire des consommateurs, il est primordial de soutenir les recherches en cours pour mieux évaluer la virulence des souches, pour mieux détecter les biofilms et pour concevoir des outils de désinfection pour le secteur agroalimentaire
Langue de porc en gelée, rillettes, brie, époisses, mortadelle. Ces aliments ont tous un point commun : ils ont été le vecteur d’une épidémie en France : la listériose. Cette maladie est provoquée par Listeria monocytogenes. Si elle est bien connue des industriels, nos connaissances actuelles n’ont pas encore permis de l’éradiquer des ateliers agroalimentaires. Fin août 2018, plusieurs produits (langues de porc, museaux et falafels) d’une grande enseigne ont été rappelés suite à un risque de contamination par L. monocytogenes. Preuve qu’aujourd’hui, des améliorations sont toujours possibles pour éviter les contaminations par cette bactérie.
L’ingestion d’aliments fortement contaminés par certaines populations à risques (femmes enceintes, personnes immunodéprimées, ayant reçu une transplantation, ayant subi de lourds traitements comme une chimiothérapie, personnes avec des problèmes hépatiques et personnes âgées) peut déclencher une listériose, une infection bactérienne généralisée. Bien que le nombre de cas soit limité (250 à 300 cas par an en France), les conséquences peuvent être catastrophiques : septicémie, méningites, infection du fœtus chez la femme enceinte ou avortement spontané. En cas de listériose avérée, le taux de mortalité est de 15 à 30%.
Cette bactérie représente donc un risque majeur pour la sécurité sanitaire des consommateurs. Si de nombreux secteurs d’activité sont concernés (agriculture, élevage, grande distribution), cette bactérie est particulièrement problématique pour les ateliers de transformation agroalimentaire. Nous verrons plus bas quelles sont les pistes prometteuses pour éradiquer L. monocytogenes et minimiser sa virulence.
Enseignant-chercheur en microbiologie mais également coordinateur du projet européen List_MAPS, Pascal Piveteau nous apporte son point de vue d’expert sur Listeria monocytogenes au travers des résultats scientifiques obtenus dans le cadre de ce projet.
Pascal Piveteau
Au cœur de la microbiologie
Après une école d’ingénieurs, une thèse en microbiologie et deux stages postdoctoraux, Pascal est recruté à l’Université de Bourgogne en tant que maître de conférences en septembre 2000. Il enseigne la microbiologie à l’Institut Universitaire de Technologie de Dijon, notamment dans l’option Industries Agroalimentaires et Biologiques. Pascal Piveteau fait partie de l’UMR AgroEcologie, située à l’INRA Dijon, et plus précisément de l’équipe MERS (Microbiologie Environnementale et Risque Sanitaire) qui a pour objectif de caractériser la circulation des microorganismes potentiellement pathogènes entre les agroenvironnements, les environnements abiotiques et les animaux/végétaux mais aussi leurs mécanismes d’adaptation entre ces différents environnements.
Projet List_Maps
Pascal Piveteau est également le coordinateur du projet List_MAPS . Ce projet s’inscrit dans les actions Marie Sklodowska-Curie de l’Union Européenne dans le cadre du projet Horizon 2020. Regroupant 11 jeunes doctorants et neuf laboratoires européens (France, Allemagne, Danemark, Irlande et Pays-Bas), ce projet de formation doctorale réunit à la fois recherche et formations professionnalisantes dans différents domaines : formations techniques, générales, entrepreneuriales, transversales, … Après leur recrutement, les jeunes chercheurs réalisent un travail de thèse mais participent également à un projet scientifique global sur la bactérie Listeria monocytogenes.
Ce projet s’articule autour d’un réseau de partenaires académiques et de partenaires privés afin d’être à l’interface de la recherche académique et des préoccupations des professionnels de l’agroalimentaire.
Les objectifs scientifiques de ce projet sont de :
- Comprendre comment le sol, les végétaux, les biofilms et les matrices alimentaires influencent la physiologie et in fine la virulence de monocytogenes
- Modéliser les circuits de régulation qui lui permettent de s’adapter aux modifications de son environnement
- Evaluer la variabilité du pouvoir infectieux entre les différentes souches et la capacité à former des biofilms en fonction des conditions environnementales
- Développer un système d’évaluation de la virulence pour éviter l’utilisation de modèles animaux
« L’intérêt de ce réseau est d’avoir un consortium qui combine plusieurs expertises portant sur les environnements extérieurs mais également sur la production de biofilm, sur la virulence ou encore sur l’implication de la composition de l’aliment dans le développement de l’infection », mentionne Pascal Piveteau.
Listeria monocytogenes : mieux la connaitre pour mieux se protéger
Le projet List_MAPS a permis de mettre en évidence plusieurs caractéristiques de la bactérie Listeria monocytogenes – des confirmations essentielles pour mieux lutter contre celle-ci.
Une prolifération possible même à 0°C
Désinfection, nettoyage, réfrigération, … Toutes ces opérations peuvent être appliquées en industrie agroalimentaire pour limiter les risques de contamination par des bactéries, virus, champignons ou parasites. Cependant L. monocytogenes pose particulièrement problème à cause d’une de ses capacités : « elle persiste dans les entreprises agroalimentaires par son aptitude à se multiplier à des températures de réfrigération », informe Pascal. « Un atelier agroalimentaire est un environnement favorable, ou du moins pas défavorable, à la croissance et la persistance de ces bactéries. »
Empêcher la formation de biofilm : la clé de la lutte contre L. monocytogenes
« Beaucoup de travaux ont porté sur cette bactérie, notamment sur sa capacité à infecter les Hommes », explique Pascal. De nombreux laboratoires travaillent sur des méthodes pour éliminer la bactérie : une solution à envisager serait d’empêcher la formation d’un biofilm.
Un biofilm correspond à une forme d’adaptation entrainant la persistance des bactéries. Elles forment une « communauté » délimitée par une matrice extracellulaire les protégeant des agressions extérieures (UV, pH acide, composé antimicrobien, …). A l’intérieur, il est possible de retrouver plusieurs types de bactéries, pathogènes ou non. Une fois constitué, il est difficile d’éliminer complètement un biofilm et donc d’éradiquer les bactéries potentiellement pathogènes.
Le biofilm résiste à la déshydratation
« Les doctorants se sont intéressés à la compréhension des mécanismes permettant la croissance des biofilms ainsi qu’aux effets de différents stress, telle que la déshydratation, sur la survie de ces bactéries (soit sous forme de biofilm, soit sous la forme de culture liquide). » La plupart des bactéries ne peuvent pas survivre face à une déshydratation. Pourtant, L. monocytogenes est capable de survivre jusqu’à 49 jours grâce à la formation de ce biofilm. Grâce à des mécanismes moléculaires d’adaptation et de résistance, le biofilm semble protéger contre cette déshydratation. Il est primordial de mieux comprendre ces phénomènes pour concevoir des traitements efficaces. Mais il est encore plus intéressant de chercher à empêcher cette forme de résistance puisqu’elle est difficile à éradiquer.
Les microorganismes du sol modulent la survie de L. monocytogenes
Les doctorants du projet List_MAPS ont également mis en lumière le lien entre les caractéristiques du sol et la capacité de cette bactérie à survivre. « Nous avons montré qu’il existe un lien direct entre la composition et la structure des communautés des microorganismes du sol et la capacité de survie de cette bactérie. En fonction des microorganismes présents dans le sol, les chances de survie de la bactérie sont différentes », indique Pascal. Les microorganismes sont capables de sécréter des molécules dans leur environnement, dont des agents antibiotiques pour empêcher la prolifération de certaines bactéries. Il semblerait donc que certains d’entre eux soient capables d’empêcher la survie de L. monocytogenes.
Ce résultat intéressera particulièrement les acteurs du monde agronomique, également soucieux de préserver leurs sols et leurs cultures de cette bactérie. Prévenir l’installation de L. monocytogenes dans les champs et récoltes est un premier pas pour limiter les contaminations chez l’Homme et les animaux (également sensibles à la listériose).
La composition des aliments impacte les chances de survie et la virulence de L. monocytogenes
Il a également été question de mieux comprendre le lien entre composition des aliments et probabilité de succès de l’infection. « En fonction des molécules présentes dans l’aliment, l’aptitude à survivre aux stress du tractus digestif (comprenant entre autres l’estomac, les intestins et le côlon) et les chances de provoquer une infection systémique sont différentes », continue-t-il. Comme tout être vivant, les bactéries ont besoin d’éléments nutritifs pour se développer et proliférer. Le fait que Listeria monocytogenes ait besoin de certains nutriments pour survivre dans le corps de l’hôte ouvre des pistes intéressantes pour les industriels. D’autres études seront nécessaires pour identifier des compositions alimentaires capables d’incapaciter la bactérie.
Un projet se termine, un nouveau programme débute
« List_MAPS est un réseau de formation de doctorants. Nous les formons à tous les types de métiers qu’ils sont susceptibles de réaliser par la suite, aussi bien du point de vue académique que du point de vue du secteur privé », explique Pascal.
Ce projet se terminera en mai 2019 mais plusieurs interrogations autour de L. monocytogenes subsistent. Notamment par rapport à la biodiversité qui existe au sein de cette espèce. Certaines souches sont plus virulentes que d’autres. Il serait intéressant d’expliquer ces différences et d’expliciter le lien entre le génome bactérien et la capacité de virulence. Une autre de ces interrogations concerne le lien entre matrice alimentaire et virulence de L. monocytogenes. D’ailleurs le consortium a décidé de déposer une nouvelle demande de financement pour ces deux thèmes de recherche.
Les mots-clés
Listeria monocytogenes, bactérie, microorganisme, listériose, infection, aliment, agroalimentaire, projet, recherche
Envie d'aller plus loin ?
- Esbelin J, Santos T, Hebraud M.2018. Desiccation: An environmental and food industry stress that bacteria commonly face. Food Microbiol. Volume: 69 Pages: 82-88. DOI: 10.1016/j.fm.2017.07.017
- Vivant AL, Desneux J, Pourcher AM, Piveteau P. 2017. Transcriptomic Analysis of the Adaptation of Listeria monocytogenes to Lagoon and Soil Matrices Associated with a Piggery Environment: Comparison of Expression Profiles. Front Microbiol. 2017 Sep 26;8:1811. DOI: 10.3389/fmicb.2017.01811. eCollection 2017
- Gahan CGM, Hill C. 2014. Listeria monocytogenes: survival and adaptation in the gastrointestinal tract. Front Cell Infect Microbiol. Volume: 4. Article Number: 9. DOI: 10.3389/fcimb.2014.00009
- Vivant AL, Garmyn D, Piveteau P. 2013. Listeria monocytogenes, a down-to-earth pathogen. Front Cell Infect Microbiol Volume: 3 Article Number: 87 Published Nov 2013 DOI: 10.3389/fcimb.2013.00087
Article réalisé en partenariat avec JFD&Co
Pour en savoir plus...Elodie Da Silva, ingénieur projets, est à votre écoute. Vous êtes intéressé par le projet List_MAPS et les résultats qui en découlent ? Faites le lui savoir ! Cliquez ici ! Ingénieure agroalimentaire originaire de Toulouse, Elodie accompagne Marine dans le suivi des projets collaboratifs des membres de Vitagora, avec bonne humeur, professionnalisme et enthousiasme : recherche de partenaires, fléchage de financements, gestion du projet, etc.. |