07 juin 2018 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies
Perception du chlore dans l’eau de consommation courante : mieux comprendre le phénomène pour mieux le contrôler
Le chlore est ajouté à l’eau du robinet dans les stations de traitement pour garantir la sécurité sanitaire des consommateurs. Bien que les quantités soient réglementées, le chlore peut être ressenti en bouche. C’est une des plaintes majeures émise à l’encontre de l’eau du robinet. Quelles sont les caractéristiques d’une eau perçue comme « chlorée » ? Comment diminuer la perception du chlore ? Est-il possible de masquer cette flaveur par des arômes ou des odeurs ?
Pourquoi s’y intéresser ?
- Le « goût de chlore » de l’eau du robinet est perçu comme désagréable et freine sa consommation
- La présence d’une flaveur de chlore est une critique récurrente adressée à l’encontre de l’eau du robinet
- Comprendre comment cette flaveur est perçue permet d’obtenir des pistes pour la neutraliser
- Diminuer ou supprimer le « goût de chlore » permet aux consommateurs réticents de boire l’eau du robinet
L’eau est une matrice pouvant se charger de particules avec lesquelles elle rentre en contact : éléments minéraux, métaux mais aussi organismes vivants. Parasites, bactéries et virus peuvent s’y développer et entrainer la propagation de maladies comme la gale, l’hépatite E, la dysenterie, le tétanos ou encore des parasitoses. L’assainissement de l’eau est une priorité pour éliminer ces microorganismes et garantir la sécurité sanitaire des consommateurs.
Le chlore est un élément chimique naturel désinfectant couramment utilisé comme biocide dans l’eau potable, tuant efficacement bactéries, microbes et autres microorganismes. Sa concentration est réglementée et constamment contrôlée pour ne pas dépasser plus de 0,3 mg/l à la sortie des réservoirs et plus de 0,1mg/l dans le réseau de distribution (source). Cette quantité permet d’assurer l’assainissement de l’eau sans trop altérer son goût.
Cependant, nous l’avons tous expérimenté en tant que consommateurs, il arrive de percevoir un « goût de chlore » dans l’eau du robinet. Cette perception peut être plus ou moins désagréable et peut entraîner un arrêt de consommation de l’eau du robinet. Comment remédier à cela ? Pourquoi certains consommateurs perçoivent plus le chlore que d’autres ? Pour agir efficacement, il est primordial de comprendre comment le chlore est perçu par notre système sensoriel. Ce goût, qui est en fait une flaveur, active notre système olfactif.
Le projet SENS’EAU, labellisé par Vitagora et achevé en 2009, avait pour objectif de mettre en évidence les moyens potentiels pour la neutralisation du chlore et de participer à l’optimisation des normes de production. Retour sur les résultats de ce projet qui apportent des précisions sur cette neutralisation ainsi que sur les caractéristiques d’une eau perçue comme « chlorée ».
Projet SENS’EAU
Aussi baptisé « Eau du robinet agréable à boire », ce projet lancé en 2006 a réuni le Groupe Suez, le Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) et le groupe Robertet sur une durée de 3 ans. L’objectif était de mettre en évidence des moyens de neutralisation sensorielle de la flaveur chlore dans l’eau du robinet. Deux thèses ont été publiées : la première, sur le goût intrinsèque de l’eau et les préférences des consommateurs et la seconde, sur la perception de la flaveur de chlore par les consommateurs.
Ces recherches ont apporté de nombreuses réponses pour les producteurs d’eau et ont mis en lumière des pistes à explorer pour l’optimisation des normes de production.
Les résultats issus du projet
Une flaveur de chlore et non un goût
Les mécanismes impliqués dans la perception du chlore étaient jusqu’alors méconnus. Ces travaux ont permis de mettre en évidence que le « goût du chlore » n’est pas un goût à proprement parlé mais une flaveur, correspondant à l’ensemble des sensations olfactives, gustatives et rétro-nasales. Les molécules odorantes se libèrent en bouche, passent par l’arrière du palais pour arriver au système olfactif, au lieu de passer directement par le nez. L’odeur de chlore active ce système à partir de 4 mg/l, concentration considérée comme forte.
Les habitudes de consommation influent sur l’acceptabilité… mais pas sur la perception
La perception du chlore a été évaluée chez deux groupes de consommateurs : d’un côté les personnes consommant l’eau du robinet et de l’autre celles préférant l’eau embouteillée. Les résultats ont montré qu’il n’existe pas de différence de sensibilité au chlore entre les deux groupes de consommateurs. Le type d’eau consommée n’influe donc pas sur la perception du chlore. Il a cependant été mis en évidence qu’il existe une différence significative de l’acceptabilité d’une eau chlorée entre ces deux groupes. Les personnes consommant l’eau du robinet acceptent mieux de consommer une eau avec un « goût de chlore » que les personnes ne consommant que de l’eau en bouteille.
La matrice minérale de l’eau modifie la perception du chlore
Des eaux expérimentales et des eaux embouteillées, toutes chlorées dans les mêmes proportions, ont été comparées afin d’observer l’effet de la composition minérale de l’eau sur la perception du chlore. La concentration des éléments cationiques comme le calcium, le magnésium, le sodium ou le potassium module le goût de l’eau et l’intensité du chlore. Les eaux peu minéralisées contenant une quantité notable de sodium sont perçues par les consommateurs comme étant les plus chlorées. Il serait donc intéressant pour les producteurs de surveiller la minéralité de l’eau et de trouver le bon équilibre pour satisfaire les consommateurs.
Neutraliser la flaveur de chlore : plus complexe qu’il n’y paraît
Pour annuler la perception du chlore dans l’eau, il est possible d’utiliser des neutralisants sensoriels : des arômes ou odeurs susceptibles de contrebalancer cette flaveur (cannelle, whiskey lactone ou encore 3-butylidenphtalide). Les arômes sélectionnés par le groupe Robertet, comme potentiels neutralisants, ont été ajoutés dans une eau test. Cette eau a été donnée aux deux groupes de personnes, ceux ne consommant que l’eau du robinet et ceux ne consommant que de l’eau en bouteille.
Les résultats n’ont pas permis d’identifier d’arômes neutralisant efficacement la perception du chlore ou augmentant l’appréciation d’une eau chlorée. Leur ajout, en quantité suffisante pour être perçu par le consommateur, augmente même la perception du chlore. En revanche, la cannelle à forte concentration semble capable de la diminuer. Malheureusement, ce type d’ajout est incompatible avec les contraintes liées à l’eau de distribution.
Physiologie buccale & préférences : des paramètres à étudier
Il semblerait que le pH salivaire puisse jouer un rôle dans la perception du chlore. Des interactions physico-chimiques spécifiques à chaque individu pourraient être à l’origine de différences de perception entre les consommateurs. Ce lien reste à valider par de plus amples investigations. Fait intéressant également : il est possible d’aimer la flaveur de chlore dans l’eau, paramètre qui n’a pas été pris en compte dans le cadre de ce projet, tout comme l’accoutumance à certaines eaux. En effet, l’échantillon d’eau le plus apprécié par les participants était très proche de l’eau délivré par robinet à Dijon et ses environs.
Des pistes pour l’industrie de l’eau
Il semblerait que plus la qualité de l’eau varie plus son acceptabilité diminue. La constance de la composition de l’eau du robinet semble donc être cruciale pour favoriser sa consommation. L’utilisation d’odeurs pour masquer la flaveur de chlore ne semble pas être une bonne solution dans la mesure où l’aromatisation de l’eau du robinet pourrait ne pas être acceptée par les consommateurs. De plus, l’eau du robinet est perçue comme un produit technique hautement transformé face à l’eau embouteillée perçue comme plus naturelle. Travailler l’image de l’eau du robinet pourrait être un moyen de la valoriser aux yeux du public consommateur et ainsi d’augmenter son acceptabilité. Récemment, une prise de conscience des consommateurs sur les enjeux de contamination contenant/contenu de l’eau des bouteilles en plastique pourrait venir jouer en faveur de l’image de l’eau du robinet.
Les mots-clés
Eau, flaveur, arôme, chlore, eau du robinet, eau en bouteille, consommateurs, préférences alimentaires, comportement
Envie d’aller plus loin ?
- Piriou, P., Mackey, E.D., Suffet, I.H., and Bruchet, A. (2004). Chlorinous flavor perception in drinking water. Water Sci. Technol. J. Int. Assoc. Water Pollut. Res. 49, 321–328.
- Puget, S. (2010). Chlorine flavor perception and neutralization in drinking water (Dijon).
- Puget, S., Beno, N., Chabanet, C., Guichard, E., and Thomas-Danguin, T. (2010). Tap water consumers differ from non-consumers in chlorine flavor acceptability but not sensitivity. Water Res. 44, 956–964.
- Teillet, E. (2009). Perception, préférence et comportement des consommateurs vis-à-vis d’eaux embouteillées et d’eaux du robinet (Dijon).
Article réalisé en partenariat avec JFD&Co