24 juillet 2024
GlutN – Comprendre la sensibilité au gluten/blé non-cœliaque de la plante au consommateur
Le projet GlutN, coordonné par l’Unité de recherche Génétique, diversité et écophysiologie des céréales (Inrae, Univ. Clermont Auvergne), est lauréat de l’appel à projets ANR « Sécurité alimentaire et défi démographique » de 2017. Il vise à élucider les mécanismes responsables de la sensibilité au gluten/blé non cœliaque (et non allergique), évaluer sa prévalence et rechercher des biomarqueurs cliniques par une approche translationnelle du blé au patient. Le pain étant la principale forme d'ingestion du gluten, GlutN vise aussi à produire de nouveaux pains, qui seraient tolérés par les patients atteints de la sensibilité au gluten/blé non-cœliaque (SG(/B)NC) que l’on appellera dans la suite « hypersensibles ».
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Contexte et enjeux de l'étude
© Le point sur le gluten, Intercéréales
L’ingestion de gluten peut provoquer des allergies, la maladie cœliaque (appelée également « intolérance au gluten ») et la sensibilité au gluten/blé non-cœliaque (SG(/B)NC), qui est encore mal connue. La résistance à la digestion des protéines de la farine, dont celles du gluten (encore appelées protéines de réserve) est pointée du doigt dans le cadre de ces trois pathologies.
La SG(/B)NC provoquerait des symptômes divers après ingestion de produits contenant du gluten et, au cours de ces dernières années, le nombre de personnes s’en plaignant auprès de leur médecin et adoptant un régime sans gluten a augmenté. Adopter un tel régime d’exclusion, extrêmement contraignant puisqu’il faut écarter de l’alimentation des produits courants tels que le pain, les gâteaux et les pâtes..., sans raisons médicales avérées a suscité de nombreuses inquiétudes au sein de la filière céréalière concernant leurs ventes de blé et de produits dérivés, ainsi que parmi les professionnels de santé et les nutritionnistes.
Dans ce contexte de montée en puissance du régime « sans gluten » et face à la difficulté d'établir un diagnostic clinique objectif de la SG(/B) NC, le projet GlutN a développé une approche translationnelle, allant de la plante (sélection) aux patients (étude clinique) en passant par l’étude des procédés de transformation.
Le projet GlutN vise à résoudre la SG(/B)NC grâce à deux ensembles d'objectifs. Les objectifs pour le volet « champ », incluent l'identification des caractéristiques des plantes influençant la digestibilité des protéines du pain in vitro, pouvant être utilisées pour une sélection indirecte, ainsi que l’étude de procédés de panification dans l’idée de produire des pains spécifiques qui seraient bien tolérés (digérés) par des patients « hypersensibles ».
Pour le volet « fourchette », les objectifs sont d'étudier si le gluten, qui contient des peptides résistants à la digestion est l'élément causal de la SG(/B)NC, de développer des biomarqueurs pour diagnostiquer objectivement cette pathologie et d'évaluer son occurrence.
A terme, il s’agira de proposer des pains correctement tolérés par les patients concernés, soit en optimisant les procédés de fabrication, soit en sélectionnant des variétés de blé avec des protéines plus digestes. Ce travail a donc tout son intérêt dans le cadre d’une alimentation durable qui pointe la nécessité d’augmenter la part de protéines végétales au détriment des protéines d’origine animale.
« La sensibilité (non-cœliaque) au gluten/blé ou hypersensibilité au gluten est encore peu connue et ne dispose pas de marqueur clinique. Cette situation peut être particulièrement difficile pour les patients, souvent incompris, qu'ils soient affectés par le gluten ou non. Il faut trouver des réponses pour ces personnes. Ce projet est extrêmement intéressant et apporte une brique significative aux avancées de la recherche autour de la tolérance au gluten », exprime Aloys Tack, responsable communication chez Intercéréales et en charge de la valorisation du projet GlutN.
Digestion des protéines du pain : quels rôles joués par la variété de blé et le procédé de fabrication
Initialement, une analyse approfondie de 75 variétés de blés, anciennes ou modernes (nous avons défini 1960 (période de la révolution verte) comme la limite entre le matériel ancien et le matériel moderne), cultivées dans deux lieux et génotypées, avait été entreprise. Un échantillon de 17 variétés représentatif de la variabilité (comprenant des variétés anciennes et des variétés modernes) des 75 avait été panifié selon une méthode levure standardisée par Dijon Céréales (Cérélab). La digestibilité in vitro des protéines de ces pains, observée à 2 heures de digestion, a montré une variabilité génétique. Certaines variétés de blé donnent donc des pains plus ou moins digestes sans qu’il y ait de différences liées à l’âge du matériel végétal. La digestibilité partielle (car mesurée à 2h de digestion) des protéines du pain est similaire entre les variétés anciennes et récentes, sans différence statistiquement significative.
De plus, ces travaux ont montré que la digestibilité protéique est positivement liée à la teneur en protéines, ainsi qu'aux propriétés technologiques de la pâte. Elle est aussi liée à la composition en protéines, positivement ou négativement en fonction de la classe de protéines considérée. Les caractéristiques du gluten (taille des polymères par exemple) ne montrent pas de lien avec cette digestibilité. Ces résultats suggèrent donc que la digestibilité peut être améliorée de manière indirecte. On observe également des relations entre certaine distances génétiques et la digestibilité.
« Il existe des variables qui influencent positivement ou négativement la digestibilité. En somme, il est possible de sélectionner des variétés pour améliorer la digestibilité partielle des protéines du pain, en se basant sur ces variables mesurées sur la plante ou sur la farine. Peut-être pourrait-on même espérer développer des marqueurs moléculaires pour améliorer cette digestibilité par sélection assistée par marqueurs », résume Catherine Ravel, ingénieure de recherche INRAE du département Biologie et Amélioration des Plantes, et coordinatrice du projet.
A partir de ces travaux préliminaires, en collaboration avec Dijon Céréales, quatre variétés ont été choisies et panifiées selon deux procédés pour une étude plus fine. Un travail de microscopie électronique a mis en évidence des différences de structure de la matrice amyloprotéique de ces pains en fonction des variétés et des procédés. Ces résultats restent à approfondir. Les études de mastication et de digestion in vitro montrent que les pains au levain n’ont pas les mêmes caractéristiques que les pains à la levure. De plus, l’étude métabolomique d’échantillon gastrique de digestion permet de distinguer les variétés et procédés.
Cette démarche a été complétée par une étude clinique menée en collaboration avec le CHU de Clermont-Ferrand, impliquant des tests sur des personnes « hypersensibles ».
Et chez l’homme ? D’une étude épidémiologique à une étude clinique pour voir le rôle du gluten dans la SG(/B)NC et détecter des marqueurs diagnostics
Les résultats de l’étude épidémiologique menée par le centre EREN à partir de la cohorte NutriNet ont permis de dresser le profil des personnes excluant le gluten sans être cœliaques ou allergiques et d’estimer que prévalence de la SG(/B)NC dans la population adulte française atteignait 3%.
L’étude clinique a rassemblé une cohorte de 19 patients qui ont suivis alternativement deux régimes « clones », l’un avec gluten (8 g de gluten par jour) et l’autre sans, selon un plan d’expérience en double aveugle (c’est-à-dire ni le médecin, ni le patient ne savait quel régime était administré). Pour que ces deux régimes ne puissent être identifiés (autant que possible), les produits avec et sans gluten avaient été soigneusement sélectionnés pour être le plus similaires possible. Au cours de chaque phase de régime, le patient notait ses symptômes à l’aide d’une échelle spécialement adaptée par le docteur Bouteloup. L’objectif de cette étude était de déterminer si le gluten est effectivement responsable de la SG(/B)NC. Des prélèvements urinaires et sanguins ont aussi été effectués à la fin de chaque phase de régime pour détecter d'éventuels marqueurs de sensibilité, pouvant ainsi servir d’outil pour poser objectivement le diagnostic. Aujourd’hui, l’échelle des scores ne permet pas de distinguer le régime. Cependant, il faut attendre le résultat d’autres analyses avant de conclure que le gluten n’est pas la cause de la SG(/B)NC.
Dans une seconde phase, si le rôle du gluten dans les symptômes des patients « hypersensibles » est confirmé, ces derniers auraient dû être invités à tester le pain identifié comme étant le plus digeste versus le pain le moins digeste, tant du point de vue de la variété de blé utilisée que de la recette employée. L'objectif à long terme était de proposer des solutions alimentaires mieux tolérées par ces patients.
Cette approche globale, combinant des analyses en laboratoire et des études cliniques, visait à apporter des éclaircissements sur la SG(/B)NC et à ouvrir la voie à des solutions alimentaires mieux adaptées aux besoins des patients.
Catherine conclut : « Le blé est à la base de l’alimentation humaine. En conséquence, il ne faut pas négliger ses protéines qui vont occuper une place de plus en plus importante de par le rôle qu’elles peuvent jouer dans un contexte où la nécessité de consommer plus de protéines végétales fait consensus. Pour faire des protéines, le blé a besoin d’azote. Il ne faut donc négliger aucun point comme par exemple, l’agronomie ou la génétique, pour maintenir le rendement, la teneur et la qualité des protéines du grain avec moins de fertilisants. Il est essentiel aussi d'améliorer la qualité santé de ces protéines, en continuant de travailler sur les problèmes d'intolérance au sens large, ainsi que sur leur digestibilité et leur apport en acides aminés essentiels dont la lysine, qui est leur point faible. »
Actus du projet GlutN
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