20 juin 2023 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies

Métabolisme de la flaveur en bouche et modulation de la perception par les enzymes des microorganismes oraux

 

Pourquoi s’y intéresser ?

  • Comprendre comment les consommateurs perçoivent les arômes des produits alimentaires permet de contribuer à éclairer la façon dont s’opèrent leurs choix.
  • Les composés soufrés volatils sont parfois associés à un comportement aversif pour certains aliments. Il est possible d’inhiber le goût désagréable dû aux précurseurs de soufre.
  • La modulation de la perception d’un produit peut se faire par l’assemblage des bons ingrédients pour améliorer l'expérience gustative des consommateurs.

 

Quel est le métabolisme de la flaveur en bouche ? Quels sont mécanismes enzymatiques impliquant des molécules de la flaveur dans la cavité buccale lors de la consommation d’un aliment ?

 

 

L’équipe de recherche « Perception de la Flaveur : Mécanismes Moléculaires » du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) de Dijon a exploré le processus de métabolisation en bouche et les modifications de la composition et de l'intensité des arômes perçus.

 

 

A découvrir dans cet article.   

 

 

Fabrice Neiers

Fabrice Neiers est Professeur à l’Université de Bourgogne. Après une thèse en enzymologie à l’Université de Lorraine et un post-doctorat au Karolinska Institut à Stockholm en Suède il a été recruté à l’Université de Bourgogne. Fabrice Neiers développe ses activités de recherche au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) à Dijon. Coordinateur de plusieurs projets portant sur la perception de la flaveur, son travail de recherche porte d’une manière générale sur les mécanismes moléculaires de la perception de la flaveur.

Mathieu Schwartz

Mathieu Schwartz est jeune chercheur en biochimie au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) à Dijon. Après une thèse en biologie structurale (2018) et un post-doctorat en biochimie des protéines (2019) à l’Université de Lorraine, Mathieu a rejoint le CSGA fin 2019 en tant que chargé de recherche INRAE pour approfondir l’étude des mécanismes enzymatiques impliquant des molécules de la flaveur dans la cavité buccale lors de la consommation d’un aliment. Actuellement, Mathieu est coordinateur du projet ANR JCJC intitulé FLAMME (Modulation de la Perception de la Flaveur par les Enzymes du Microbiote Oral) qui vise à élucider les mécanismes enzymatiques liés au métabolisme des précurseurs aromatiques par le microbiote oral.

Le projet FLAMME "Flavour metabolism in-mouth & perception modulation by oral microbiota enzymes" 

Le projet FLAMME

Le projet FLAMME, coordonné par Mathieu Schwartz, est un projet multidisciplinaire visant à mieux comprendre le métabolisme de la flaveur en bouche et la modulation de la perception par les enzymes des microorganismes oraux. La flaveur inclue les perceptions gustatives, olfactives et trigéminales (astringence, chaud, froid … pour illustrer cette dernière modalité).

« Autour des années 2009-2010, on ne connaissait pas encore l'impact des enzymes présentes dans les fluides humains tels que la salive et le mucus olfactif sur la perception de la saveur. Nous avons alors consacré plusieurs années à démontrer l'importance des enzymes, à la fois au niveau olfactif et salivaire, dans la perception sensorielle. Nous avons pu prouver que leur contribution était réelle et que cela se produisait rapidement (en moins d'une seconde) », relate Fabrice Neiers.

 

Les recherches portent sur les axes suivants :

  • Étude du métabolisme du soufre à l'aide d'expériences ex vivo sur la salive
  • Identification des enzymes impliquées dans le mécanisme
  • Caractérisation biochimique et structurale des enzymes
  • Stratégies de contrôle de la production de composés soufrés

 

Des réactions enzymatiques spécifiques catalysées par des micro-organismes buccaux génèrent des molécules aromatiques à partir de précurseurs d’arômes dans la bouche. Les travaux de recherche visent à comprendre l’implication des enzymes de ces microorganismes dans la perception de la flaveur des aliments, de la transformation de ces derniers à la métabolisation en bouche.

 

Interaction entre les composés aromatiques et les enzymes bactériennes

Lorsque nous mangeons, des composés odorants remontent par la voie rétro-olfactive jusqu'à l'épithélium olfactif : ces molécules volatiles perçues sont les arômes que nous percevons. Un odorant quant à lui est quelque chose qui est perçu directement par le nez par la voie orthonasale, tandis qu'un arôme est perçu par la voie rétronasale.

 

Une analyse de la littérature montre des relations entre la composition microbienne en bouche et la perception de la flaveur. Lorsque nous consommons des aliments, les composés aromatiques qu'ils contiennent interagissent avec les microorganismes oraux. Certains micro-organismes présents dans la bouche sont capables de métaboliser ces composés aromatiques, c'est-à-dire de les transformer en d'autres substances chimiques. Ce processus de métabolisation en bouche peut modifier la composition et l'intensité des arômes perçus.

Par exemple, certains types de bactéries présents en plus grande quantité dans la bouche sont associés à une plus grande sensibilité au goût sucré, tandis que d'autres étaient liés à une sensibilité plus élevée au goût amer. D'autres micro-organismes peuvent modifier les composés sulfurés présents dans certains aliments, affectant ainsi les notes aromatiques perçues.

 

Métabolisation des composés aromatiques dans la bouche

« Nous nous sommes penchés sur quels sont les enzymes les plus connus qui font du développement aromatique dans les produits par fermentation ? Puis l’idée était d’essayer de trouver par des approches génétiques, des enzymes similaires qui pourraient être des bons candidats pour effectuer la même chose en bouche. » explique Fabrice Neiers.


L’étude a pu démontrer la réalité de l’implication des enzymes microbiennes. Ces enzymes, présentes uniquement dans la bouche, sont capables de modifier des molécules qui ne sont pas odorantes, mais qui deviennent odorantes après leur transformation par ces enzymes. Cela signifie qu'il y a un développement aromatique des produits alimentaires qui se produit dans la bouche lorsque ces enzymes microbiennes entrent en contact avec les aliments. On retrouve notamment ces molécules dans les aliments fermentés tels que le vin, la bière, ainsi que dans les produits d'origine végétale tels que les fruits et les légumes.

 

« Dans cette étude, une molécule appelée l'allyl-cystéine est identifiée, que l'on retrouve dans l'ail, mais aussi dans l'oignon et les légumes crucifères, » précise Mathieu Schwartz. « Il existe un certain nombre de molécules qui ne sont pas odorantes, mais qui dégagent une odeur en bouche sous l'action des enzymes microbiennes. Certaines bactéries prennent la molécule et la transforment en molécules odorantes. Ainsi, la famille d'enzymes impliquée dans cette réaction a été identifiée au niveau moléculaire. »


Le projet FLAMME se concentre sur deux familles particulières de composés aromatiques appelés précurseurs d'arômes, c'est-à-dire des molécules aromatiques devenant odorantes après leur métabolisation dans la bouche, à savoir les conjugués de glycosides et les conjugués de cystéine.
À partir d'une analyse de la littérature et d'expériences préliminaires au CSGA, il est présumé que ces précurseurs d'arômes sont métabolisés par deux familles d'enzymes, à savoir les glycosides hydrolases (GH) et les carbone-soufre lyases (CSL).

 

« Une enzyme CSL d’une bactérie orale en particulier, identifiée, a été caractérisée en profondeur en montrant qu’elle peut métaboliser toute une série de molécule qu’on retrouve dans l’alimentation. On a réussi à résoudre sa structure en 3D, grâce à des données aux rayons X qui ont été collectées au Synchrotron Européen (ESRF) à Grenoble pour comprendre comment elle fonctionne au niveau atomique et fonctionnel, » détaille Mathieu.

 

Détection de notes aromatiques spécifiques

Une réaction spécifique a été mise en évidence par rapport à certains arômes soufrés, où la salive humaine est capable de métaboliser des molécules non odorantes en molécules d'arômes soufrées qui sont extrêmement bien perçues par l'humain. Les enzymes microbiennes présentes dans la bouche peuvent libérer dans la salive des molécules soufrées provenant d'aliments qui n'ont pas d'odeur, les transformant ainsi en quelque chose de très odorant. Cela peut être perçu comme des odeurs désagréables, en particulier des odeurs « soufrées » (qu’on peut retrouver dans l'œuf pourri ou le gaz par exemple). Cela signifie que le consommateur mâche le produit et finit par le trouver « pas bon » gustativement.


Les travaux de recherche ont exploré les molécules alimentaires capables de limiter cette réaction afin de réduire les notes soufrées perçues désagréablement par le consommateur. Certaines molécules présentes dans les aliments ont été identifiées permettant de moduler la libération aromatique liée aux enzymes bactériennes.


« Puisque nous avons une enzyme en action, il est également possible d'introduire des molécules qui s'y lient pour l'inhiber et l'empêcher de fonctionner. Ces molécules ne sont pas nécessairement des médicaments, elles peuvent être naturellement présentes dans d'autres produits. Il ne s'agit pas de masquer les molécules désagréables, mais bien de les empêcher de se manifester, »
souligne Fabrice Neiers. 


En outre, en associant un produit désagréable avec un autre produit contenant des enzymes qui l'empêchent de fonctionner, le développement aromatique désagréable du produit sera supprimé. Cela permet de rationaliser les formulations afin de rendre un produit désagréable agréable.

Conséquences sur les préférences gustatives individuelles

Les différences dans la composition bactérienne orale peuvent expliquer pourquoi certaines personnes perçoivent mieux les notes soufrées par exemple, tandis que d'autres les perçoivent moins, voire pas du tout. Cela permet d'expliquer les préférences individuelles envers certains produits alimentaires par rapport à d'autres.

De plus, notre appréciation pour certains aliments peut évoluer à mesure que nous les consommons régulièrement. D'autres facteurs tels que la dimension culturelle, cognitive et visuelle viennent également s'ajouter à cette équation. Néanmoins, la contribution des bactéries orales est un élément supplémentaire à prendre en compte.

 

L'un des objectifs de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) est de caractériser la perception de certaines molécules alimentaires en relation avec le microbiote individuel de chaque personne. Cela permettrait de mieux comprendre comment notre microbiote influence notre expérience sensorielle et d'adapter les produits en fonction des préférences individuelles.

 

Implications pour l'industrie alimentaire

La perception des saveurs des produits alimentaire par les consommateurs est l’un des principaux moteurs de l’accessibilité et de la consommation des aliments.

Application potentielle dans la conception d'aliments avec des profils de saveurs spécifiques

Au niveau agroalimentaire, les souches utilisées dans les process sont très bien maîtrisées. Les mécanismes enzymatiques sont vraiment bien caractérisés et connus pour aller produire des arômes. Ce qui est moins connu c’est ce qui se passe en bouche.

 

La maîtrise d’un processus de fermentation peut être envisagé pour ne libérer que certains arômes, c’est-à-dire décider de ne pas les libérer tous à la fois. Lorsque tous les arômes sont libérés, ils deviennent volatils et se perdent dans le produit. Il peut donc être intéressant de conserver certains arômes sous des formes non volatiles, de manière qu'ils se libèrent progressivement dans la bouche du consommateur.


Il s'agirait de créer un produit "intelligent" qui se déclenche en bouche plutôt que de développer toute sa puissance aromatique uniquement par le biais de la fermentation ou d'autres approches, de sorte que le développement aromatique se produise en partie chez les consommateurs. L'idée est de développer ce qui ne peut pas être développé en bouche, afin que le consommateur soit satisfait dès la première bouchée, tandis que le reste des arômes se libère pendant le processus de mastication. Ce sont les enzymes bactériennes qui agissent alors comme un interrupteur pour libérer les arômes. Cela ouvre des perspectives intéressantes et souligne l'intérêt du projet.

 

Perspectives de recherche et défis futurs

La littérature a également montré que des altérations du microbiote oral, telles que celles provoquées par la consommation de médicaments, pouvaient affecter temporairement la perception des saveurs. Cela suggère que les microorganismes oraux sont un facteur important à prendre en compte lors de l'évaluation de notre sensibilité gustative.


Ces découvertes pourraient avoir des implications intéressantes dans le domaine de la nutrition et de la santé. Comprendre comment les bactéries orales influencent notre perception des saveurs pourrait aider à développer des interventions ciblées pour les personnes qui rencontrent des difficultés à percevoir certaines saveurs. Cela pourrait également avoir un impact sur les choix alimentaires et l'appréciation des aliments, ce qui pourrait contribuer à des régimes plus sains et équilibrés.


Il convient de noter que les recherches sur l'influence des microorganismes oraux sur la perception du goût est encore relativement nouvelle, et il reste beaucoup à apprendre sur les mécanismes précis impliqués. Cependant, ces résultats suggèrent que ces microorganismes peuvent jouer un rôle important dans la perception de la flaveur et contribuer à nos préférences alimentaires.

 

 

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Mots clés

Flaveur, alimentation, allégation, sensorialité, olfaction, arômes, influence, inhibiteur, soufre

 

Pour en savoir plus


Elodie est ingénieure agroalimentaire, originaire de Toulouse. Elle est référente du pôle Innovation qui accompagne les adhérents de Vitagora dans le montage et le suivi des leurs projets d'innovation : recherche de partenaires, fléchage de financements et relation avec les financeurs, gestion du projet, etc.

 

Pour en savoir plus sur les travaux de recherche menés par Fabrice Neiers et Mathieu Schwartz, ou pour être mis en relation, contactez Elodie Da Silva : elodie.dasilva@vitagora.com

 

 

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