08 novembre 2018 / Compétences et expertise / Vitagora / Sciences et technologies

Prévenir la dénutrition des personnes âgées : des solutions concrètes vers le « bien manger »

 

Compétences et expertise

 

La dénutrition est une pathologie reconnue de la personne âgée. Elle augmente le risque d'autres pathologies et induit ou aggrave un état de fragilité. Le risque de dénutrition est particulièrement élevé chez les personnes âgées dépendantes pour leur alimentation. Mais au-delà des apports nutritionnels, il est essentiel de prendre en compte le plaisir sensoriel pour maintenir leur appétit et leur envie de manger. Afin de développer des solutions personnalisées et une offre alimentaire pertinente, le projet RENESSENS s’est intéressé à ce qui est important vis-à-vis de l’alimentation pour les personnes âgées.

Pourquoi s’y intéresser ?

  • Le risque de dénutrition est élevé chez les personnes âgées dépendantes pour leur alimentation, que ce soit à domicile, en institution ou à l’hôpital.
  • Il est essentiel de mieux comprendre les facteurs entraînant une baisse d’appétit chez la personne âgée afin d’améliorer les systèmes d’aide destinés aux seniors dépendants.
  • Il est essentiel de développer une offre alimentaire adaptée aux besoins nutritionnels mais aussi aux capacités (appétit, mastication…) et aux préférences des personnes âgées pour prévenir la dénutrition.
  • Les personnes âgées privilégient le goût et la saveur des aliments avant leur aspect ou la présentation des plats.

 

Le vieillissement s’accompagne fréquemment de baisses de l’appétit et de la prise alimentaire, ce qui prédispose la personne âgée à une perte de poids et augmente le risque de dénutrition. La dénutrition, pathologie reconnue du sujet âgé, correspond à un déficit des apports nutritionnels. Ses conséquences, multiples, comprennent entre autres la fonte musculaire et l’altération des défenses de l’organisme. Sans prise en charge, la dénutrition augmente le risque de chutes, de fractures, d’épisodes pathologiques, d’hospitalisations. Elle induit ou aggrave un état de fragilité et de dépendance, pour in fine affecter la qualité et l’espérance de vie des personnes âgées.

Lorsque le vieillissement s’accompagne de difficultés physiques (réduction de la mobilité, arthrose…), de troubles cognitifs (maladie d’Alzheimer…) ou de ruptures sociales (veuvage), la personne âgée peut être amenée à déléguer tout ou partie de ses activités quotidiennes à un tiers, et notamment son alimentation. Plusieurs travaux ont montré que le risque de dénutrition était particulièrement élevé chez les personnes âgées dépendantes. Selon les estimations de la Haute Autorité de Santé, 4 à 10 % des seniors vivant à domicile seraient dénutris et cette proportion atteindrait 15 à 38 % des personnes âgées vivant en EHPAD et 70 % à l’hôpital.

Sans présumer du lien de cause à effet entre dépendance et dénutrition, il est essentiel de placer la prévention et la lutte contre la dénutrition au cœur de la prise en charge des seniors dépendants. Aide pour les courses, portage de repas à domicile, restauration collective en institution : comment améliorer ces systèmes d’aide pour permettre aux personnes âgées de « bien manger », c’est-à-dire de répondre à leurs besoins nutritionnels tout en conservant le plaisir de manger ?

Claire Sulmont-Rossé, directrice de recherche INRA au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA), revient sur les résultats marquants du projet ANR RENESSENS et apporte de nouveaux éclairages sur les besoins et les attentes des personnes âgées en matière d’alimentation.

 

EcoSec

Claire Sulmont-Rossé

Une carrière qui a du goût

Claire Sulmont-Rossé a obtenu un doctorat en Sciences de l’Alimentation à l’Université de Bourgogne en 2000. Après un stage post-doctoral en psychologie à l’Université du Texas à Dallas (USA), elle a intégré l’INRA en tant que chargée de recherche jusqu’en 2014, puis directrice de recherche. Elle fait partie de l’équipe « Développement et dynamique des préférences et du comportement alimentaire » au sein du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, à Dijon.

Ses premières années ont été consacrées à l’études des mécanismes cognitifs (mémoire, apprentissage) sous-jacents à l’acte alimentaire, et notamment à l’étude de la mémoire des odeurs. Aujourd’hui, elle consacre l’essentiel de sa recherche à une meilleure compréhension des facteurs susceptibles d’altérer la prise alimentaire chez les personnes âgées, ainsi qu’au développement d’interventions associant nutrition et plaisir à manger pour prévenir et lutter contre la dénutrition au sein de cette population.

Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA)

Créé en 2010, le CSGA est une unité mixte de recherche sous la tutelle d’AgroSup Dijon, du CNRS, de l’INRA et de l’Université de Bourgogne. Le CSGA fédère des forces de recherche dans le domaine de la flaveur de l’aliment, des perceptions sensorielles et du comportement alimentaire. L’impact de l’alimentation sur le bien-être et la santé est au cœur des préoccupations du CSGA. L’originalité du CSGA réside dans sa logique interdisciplinaire. La physico-chimie, la physiologie, la neurobiologie, l’évaluation sensorielle, l’éthologie et la psychologie sont autant de domaines d’expertise maitrisés par les équipes de recherche.

La sensorialité

Une notion qui a du sens

« Ce terme correspond à tout ce qui tourne autour de l’interaction entre nos systèmes sensoriels et un aliment », explique Claire. « L’odorat, le goût, la vue, le toucher et même l’ouïe nous permettent de percevoir les propriétés sensorielles des aliments et des boissons que nous consommons. » Etudier la sensorialité appliquée à l’alimentation revient à essayer de mieux comprendre comment ces signaux sensoriels sont reconnus et traités par le cerveau et comment ils contribuent à la formation de nos préférences et de nos aversions alimentaires.

La personne âgée, un consommateur à part entière

Chez la personne âgée, « bien manger » est considéré comme un facteur clef du « bien vieillir ». Cependant, « bien manger » ce n’est pas seulement satisfaire les besoins nutritionnels de l’organisme. Comme le rappelle Claire, « bien manger, c’est aussi maintenir le plaisir sensoriel, vecteur d’appétit et de bien-être. Pour cela, la personne âgée se doit d’être considérée comme un consommateur à part entière, avec ses expériences et ses attentes sensorielles, ses préférences et ses aversions alimentaires – ses goûts et ses dégoûts ».

 

 

Projet ANR RENESSENS

Adapter l’alimentation aux besoins et aux préférences des seniors

L’ambition du projet RENESSENS (Réussir Ecologiquement une Nutrition Equilibrée et Sensoriellement adaptée pour SENiorS), porté par le Centre Hospitalier Universitaire de Dijon, est de développer des solutions permettant de personnaliser la prise en charge des seniors dépendants pour leur alimentation. D’une durée de quatre ans (2013 à 2018), ce projet a réuni les CHU de Dijon et de Clermont-Ferrand, l’INRA, l’Ecole Supérieure de l’Agriculture d’Angers, l’Université de Lyon III, les sociétés EC6, Saveur et Vie, SENES, SCINNOV, Robot Coupe et FSI ainsi que les Universités de Tours et de Lille, ONIRIS, Sciences et Cuisine, le Centre Hospitalier de Liège, VIVALIA, les Fromageries BEL, la Fédération Hospitalière de France et le Pôle de Gérontologie Interrégional Bourgogne & Franche-Comté.

L’un des premiers objectifs du projet était d’identifier des profils de mangeur au sein de la population âgée dépendante pour son alimentation. Une vaste enquête a été menée auprès de plus de 300 seniors, tandis que des relevés alimentaires ont été effectués dans plusieurs établissements accueillant des personnes âgées. « Nous avons observé que près de 90 % des personnes âgées ne satisfaisaient pas leurs besoins nutritionnels en maison de retraite. L’âge et l’entrée en dépendance s’accompagnent d’une baisse d’appétit et une diminution de la prise alimentaire, notamment des quantités ingérées pour les aliments riches en protéines (plat de viande, poisson…). Nous avons donc essayé de comprendre quels pouvaient être les facteurs qui contribuaient à cette baisse d’appétit », détaille Claire.

Sur la base de ces résultats, des stratégies d’intervention adaptées à chaque profil de mangeur ont été développées : plan alimentaire, menus, aliments texturés et/ou enrichis… Une étude pilote a alors été réalisée dans des structures volontaires pour évaluer le coût/bénéfice de ces stratégies : quel impact sur le statut nutritionnel du senior, sur sa santé et sa qualité de vie ? Quel coût pour la structure en termes de moyen humain (formation, réorganisation de la cuisine et/ou du service) ? Quel impact sur le gaspillage alimentaire ? Quelle est la durabilité des solutions proposées ?

Le plus important pour les personnes âgées ?

Des aliments savoureux ayant bon goût !

Dans le cadre du projet RENESSENS, un panel de 319 personnes âgées dépendantes pour leur alimentation (bénéficiant d’une aide-ménagère, d’un portage de repas ou résidant en maison de retraite) ont classé par ordre d’importance des propositions concernant leurs attentes vis-à-vis des aliments.

 

Les résultats ont montré que 88 % d’entre elles estiment qu’il est important de manger des aliments savoureux ayant un bon goût. « Le goût est même plus important que l’aspect des aliments, précise Claire. Seules 11 % des personnes interrogées ont jugé l’aspect des aliments ou la présentation d’un plat plus importants que son goût et 14 % ont jugé ces propositions aussi importantes l’une que l’autre. »

Des aliments faciles à mâcher !

Cette enquête a également révélé que 60 % des participants plébiscitent les aliments faciles à mâcher. De fait, le vieillissement s’accompagne fréquemment de troubles bucco-dentaires (perte de dents, baisse du flux salivaire) susceptibles d’altérer la dégradation de l’aliment et la formation du bol alimentaire. Un mauvais état bucco-dentaire peut conduire les personnes âgées à éviter la consommation d’aliments difficiles à mâcher tels que la viande, les fruits ou les légumes crus. Afin de prévenir l’apparition de carences, il est essentiel de développer des aliments et des plats adaptées aux capacités masticatoires des personnes âgées, sans forcément recourir aux aliments hachés, mixés et aux purées, peu appréciés des personnes âgées.

Ré-enchanter l’acte alimentaire

« Des travaux menés par le sociologue Philippe Cardon et l’anthropologue Emmanuel Soutremon ont montré que la cuisine était perçue comme une « boîte noire » par les résidents des maisons de retraite. Déléguer tout ou partie de son alimentation à un tiers crée une distanciation entre la personne âgée et son alimentation, qui peut générer un désengagement et contribuer à la perte d’appétit. L’objectif de nos prochains travaux est de développer des interventions plus globales, qui vont au-delà du contenu sensoriel et nutritionnel de l’assiette, mais qui permettent aussi de ré-engager la personne âgée dans les repas », ajoute Claire.

 

« Pour l’instant, nos recherches ont essentiellement porté sur la personne âgée vivant en institution, mais nous avons le projet de développer aussi davantage de travaux chez la personne âgée fragile vivant à domicile. Nous souhaitons notamment développer des approches pour aider les aidants – qu’ils soient familiaux ou professionnels – à prévenir la baisse d’appétit et la dénutrition chez les personnes âgées dont ils s’occupent. Il est essentiel de développer des aliments répondant aux attentes sensorielles, aux préférences alimentaires et aux habitudes des personnes âgées pour maintenir le plaisir et l’envie de manger... tout en reconnaissant qu’un tel développement ne peut se faire sans les personnes âgées elles-mêmes », conclut Claire.

Les mots-clés

Alimentation, dénutrition, personnes âgées, vieillissement, dépendance, sensorialité, goût, saveur, plaisir

 

 

Elodie Da Silva

 

Pour en savoir plus...

Pour en savoir plus sur les travaux de Claire Sulmont-Rossé ou pour être mis en relation avec cette équipe de recherche, contactez Elodie Da Silva, chargée de projets à Vitagora :  elodie.dasilva@vitagora.com.

 

Ingénieure agroalimentaire originaire de Toulouse, Elodie accompagne Marine dans le suivi des projets collaboratifs des membres de Vitagora, avec bonne humeur, professionnalisme et enthousiasme : recherche de partenaires, fléchage de financements, gestion du projet, etc..

 

Envie d'aller plus loin ?

  • https://www2.dijon.inra.fr/senior-et-sens/index.php
  • Divert C, Laghmaoui R, Crema C, Issanchou S, Van Wymelbeke V, Sulmont-Rossé C (2015). Improving meal context in nursing homes. Impact of four strategies on food intake and meal pleasure. Appetite, 84, 139–147.
  • Sulmont-Rossé C, Maître I, Amand M, Symoneaux R, Van Wymelbeke V, Caumon E, Tavarès J & Issanchou S (2015). Evidence for different patterns of chemosensory Alterations in the elderly. Chemical Sense, 40, 153–164.
  • Sulmont-Rossé C, Van Wymelbeke V, Maître I (2016). Perception des odeurs et préférences alimentaires chez la population âgée : quel impact sur la prise alimentaire et le statut nutritionnel ? Nutritions & Endocrinologie, 14, 92-95.
  • Sulmont-Rossé C, Van Wymelbeke V, Maître I (2016). Le plaisir à manger en EHPAD : point de vue du senior consommateur. In Hugol-Gential C (ed), Se Nourrir ou Manger ? Les Enjeux du Repas en Etablissement de Santé (pp. 73-92). L’Harmattan, Paris, France.
  • Van Wymelbeke V, Sulmont-Rossé C, Maître I (2016). De l’indépendance à la dépendance, que se passe-t-il lors du vieillissement. In Hugol-Gential C (ed), Se Nourrir ou Manger ? Les Enjeux du Repas en Etablissement de Santé (pp. 93-113). L’Harmattan, Paris, France.
  • Sulmont-Rossé C, Symoneaux R, Feyen V, Maître I (2018). Improving food sensory quality with and for elderly consumers. In Ares G, Varela Tomasco PA (eds), Methods in Consumer Research Volume 2: Alternative Approaches and Special Applications (pp 355-372). Elsevier. Cambridge, USA.
  • Vandenberghe-Descamps M, Labouré H, Septier C, Feron G, Sulmont-Rossé C (2018). Oral comfort: a new concept to understand elderly people’s expectations in terms of food sensory characteristics. Food Quality and Preference, 70, 57-67.
  • Vandenberghe-Descamps M, Sulmont-Rossé C, Septier C, Follot C, Feron G, Labouré H (2018). Impact of blade tenderization, marinade and cooking temperature on oral comfort when eating meat in an elderly population. Meat Science, 145, 86-93.

 

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