25 mai 2021

L’Afrique : continent d’avenir pour le domaine agro-agri

 

Avec une population actuelle de 1,3 milliard d’habitants, soit 17% de la population mondiale, projetée à 2,5 milliards en 2050 selon l’ONU, la question alimentaire – source de sécurité humanitaire, économique et politique – n’a jamais été aussi cruciale en Afrique. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, 73 millions de personnes en Afrique sont en situation d'insécurité alimentaire aiguë… et la crise sanitaire du covid-19 a exacerbé la situation.

Avec des contours jeunes, composé de zones très contrastées entre prospérité et pauvreté, sécurité et instabilité, côtes maritimes, déserts, forêts australes, ou métropoles, l’Afrique est un continent extrêmement hétérogène (pour un aperçu rapide sur la question, regarder ici « L' Afrique : continent de demain ? - Les Experts du Dessous des Cartes »). Simplifier le potentiel de l’Afrique en tant que « tout » serait donc hors de propos. Malgré tout, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest subsaharienne (Côte d’Ivoire ou Cameroun par exemple) et d’Afrique de l’Est (Rwanda, Ethiopie) connaissent un essor remarquable dans les secteurs agroalimentaire et agricole.

Culture entrepreneuriale, innovations, et changement de paradigme quant à la transformation des matières premières : l’Afrique regorge de richesses prêtes à s’exprimer. Panorama à lire ci-dessous, avec le retour d’expérience de Patrice L’Hôte, consultant en aides financières publiques et privées et dirigeant de 3E services, réseau international spécialisé en recherche de financements, qui a mis un pied sur les terres africaines il y a désormais 8 ans.

 

Un trésor de matières premières… prêtes à passer à la transformation 

 

Le continent africain regroupe 60% des terres arables de la planète – une richesse qui pourrait lui permettre de subvenir aux besoins de ses populations mais également à celles du reste du monde. Pourtant, bien que la production agricole représente 14% du PIB de l’Afrique subsaharienne, et emploie près de 80% de la population du continent (source), disponibilité des terres et production réelle sont deux choses différentes.

En effet, le secteur agroalimentaire africain fait face à de nombreux défis : dérèglement climatique, invasion de criquets, instabilité politique… et dépendance alimentaire. De 2016 à 2018, l’Afrique a importé environ 85 % de ses denrées alimentaires pour une facture de 35 milliards de dollars. Elle devrait atteindre 110 milliards de dollars d'ici 2025 (source). 

Car si l’Afrique produit de nombreuses matières premières, comme les fèves de cacao, noix de cajou, tabac, café et oranges, qui sont les 5 biens agricoles les plus exportés en valeur entre 2016 et 2018, peu d’industries de transformation locales permettent de répondre à la demande de consommation réelle. Ainsi, les biens exportés sont transformés à l’étranger – permettant à d’autres continents de réaliser des plus-values démesurées : jusqu’à +89% pour les bananes du Kenya, +554% pour les noix de cajou, et même +900% pour la valeur des grains de café d’Ethiopie une fois torréfiés (source : Oxford Business Group).

« La noix de cajou est un exemple frappant de ce paradoxe », explique Patrice L’Hôte. « La Côte d’Ivoire en est le 1er producteur au monde. Mais l’on ne voit jamais de sachets de noix de cajou « made in Ivory Coast » : en effet, si elles sont cultivées sur place, elles sont ensuite envoyées à l’étranger, notamment en Inde, pour être décortiquées et ensachées. La réalisation de plus-value, grâce à la transformation, est délocalisée. » Un autre exemple est celui du cacao : le continent africain concentre 70% de la production mondiale de fèves de cacao. Pourtant, alors que la transformation du chocolat est à l’origine de 100 milliards de dollars à travers le monde selon l’International Cocoa Organization, seuls 6% de cette somme reviennent aux pays exportateurs de la matière brute, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana.

« Depuis une dizaine d’années, il y a une véritable prise de conscience sur le besoin de développer les infrastructures de transformation sur place », souligne-t-il avec espoir. « D’une part, pour ne plus délocaliser cette réalisation de plus-value. D’autre part, parce que le cours des matières premières s’est révélé très fluctuant. » Ainsi, 3E services est sollicité par des entreprises locales pour du financement et du soutien à l’installation de conserveries, d’ateliers de production, etc. « Cela signifie que les industries africaines vont avoir besoin de matériel, d’équipements, mais aussi de compétences, notamment en informatique, maintenance et en ingénierie technique de projet  pour se développer dans les années à venir. » De quoi ouvrir des opportunités d’affaires pour les industries françaises – « car la France est très bien perçue, notamment en Afrique de l’Ouest, où l’on reconnait notamment le professionnalisme français en management et gestion de l’entreprise », ajoute Patrice. 

 

L’entrepreneuriat : source d’innovations techniques et de renouveau du système

Le secteur informel, c’est-à-dire les emplois non déclarés, représente 80 à 90% de l’activité africaine (source). S’il est une source de précarité pour une partie importante de la population, ne bénéficiant ni de reconnaissance ni de soutien structurel, il faut aussi y voir une culture du pragmatisme, du courage et de la débrouillardise : réussir, « avec les moyens du bord », à mettre en œuvre des solutions à des problèmes d’importance majeure – comme la sécheresse ou l’impossibilité de garantir la chaîne du froid.

« En conséquence, la culture entrepreneuriale est très forte en Afrique », confirme Pascal L’Hôte. « Les créations d’entreprises sont fréquentes, notamment de petites start-ups très innovantes. » Dans les secteurs agroalimentaire et agricole, les exemples sont nombreux.

Côté AgTech, ou plutôt « D4Ag » comme on l’appelle en Afrique (pour Digitalisation for Agriculture), les innovations explosent. Le cabinet Dalberg a comptabilisé 390 solutions numériques au service de l’agriculture en Afrique en 2019 (dont 20% ont été lancées depuis 2018 seulement – preuve supplémentaire de la vitesse à laquelle ce secteur progresse), pour 33 millions de petits agriculteurs et éleveurs pastoraux à travers tout le continent. C’est en Afrique de l’Est, avec le Kenya et le Rwanda, que l’on dénombre le plus d’innovations dans le secteur (plus de la moitié des lancements).

Crédits : senivpetro - fr.freepik.com


Big Data, blockchain, captation à distance… selon les experts de Dalberg, 60% des solutions agricoles intégreront des technologies avancées dans les trois prochaines années
(accéder ici au rapport complet). A l’instar de Sidibé Agrotechniques, qui permet de faire face à la sécheresse et à la hausse des températures au Mali grâce à la culture des fruits et légumes sous serre contrôlée par ordinateur. Au Nigéria, Hello Tractor offre une solution devant la pénurie de matériel agricole en permettant aux agriculteurs de louer des tracteurs géolocalisés. La start-up Tolbi (qui signifie « champ » en wolof) a été créée par des étudiants de l’École Supérieure Polytechnique de Dakar, et est lauréate du Grand Prix de l’Innovation Numérique du Sénégal : en utilisant drones, images satellitaires et capteurs d’humidité, elle permet aux agriculteurs locaux, sans besoin d’alphabétisation, d’optimiser l’irrigation de leur champ selon les besoins en eau et en engrais en temps réel.

Dans une vision de transformation plus globale, d’autres start-ups africaines se penchent sur le renouveau du système et des modes de fonctionnement de la chaine de valeur. Ainsi, au Kenya, Apollo Agriculture apporte conseils et financements aux paysans afin de les aider dans leur prise de décisions en vue d’augmenter leurs rendements. Twiga Foods, au Kenya également, propose de mettre en relation de petits producteurs avec des revendeurs informels, apportant à ceux-ci une sécurité bienvenue. Récompensée du prix « entreprise la plus prometteuse » lors de l’Africa CEO Forum en 2018, cette jeune entreprise attire les investisseurs, comme la famille Mulliez qui y a injecté 4,4 millions d’euros.

 

Quelques bonnes pratiques d’interculturalité

 

Patrice L’Hôte, a commencé à s’intéresser à l’Afrique il y a environ 8 ans.  « Nous sommes désormais présents essentiellement en Afrique de l’Ouest : en Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Cameroun… Nous y avons mis en place notre activité pour proposer des fonds complémentaires aux sociétés, car l’accès au crédit est très compliqué sur place. Et pourtant, l’Afrique représente un marché d’avenir phénoménal ! », assure-t-il.

De son expérience acquise sur le terrain, il tire plusieurs conseils à partager avec les entreprises agroalimentaires françaises intéressées par le continent africain. Car, comme il l’exprime : « si nous partageons la même langue dans de nombreux pays d’Afrique, il y a une traduction interculturelle à réaliser – il ne faut pas ignorer nos différences d’habitudes, de rythmes : au contraire, il faut les prendre en compte pour travailler en toute confiance et de manière efficace ».

Il cite l’exemple du démarrage des réunions. « Selon les us et coutumes d’Afrique de l’Ouest, la première chose à demander en réunion est : « quelles sont les nouvelles ? ». Il s’agit de prendre des nouvelles de la famille de chacun. Ignorer cette habitude peut créer un véritable malaise pour vos interlocuteurs. » Bénéficier de conseils d’une personne sur place, connaissant à la fois les mentalités européennes et africaines, est un véritable atout. « Pour 3E services, nous travaillons avec une partenaire ivoirienne. Elle nous traduit, culturellement, ce qui est important à traiter… et ce que nous pouvons laisser de côté. »

Son deuxième conseil est la patience… voire, le lâcher prise. « Le rapport au temps est très souple : il faut se montrer à la fois très disponible, mais aussi faire preuve de flexibilité dans vos rendez-vous. » Patrice se rappelle sa première venue à Abidjan, où il était attendu pour une conférence à 10h. « Entre les embouteillages, qui peuvent être extrêmement denses, et les habitudes locales, nous avons commencé à midi, sans que cela ne surprenne personne ». A condition de montrer sa bonne volonté et son organisation, Patrice conseille malgré tout de faire comprendre ses habitudes, en toute diplomatie, pour ne pas se laisser dépasser par un rapport au temps très différent. « Le lâcher prise se fait également sur le libre parler », ajoute-t-il : « il est plus facile de se dire les choses ouvertement en Afrique qu’en Europe ».

Enfin, Patrice recommande à tout prix les déplacements et rencontres sur place : « c’est indispensable, et surtout, à envisager à plusieurs reprises. Il n’est pas possible de faire des affaires en Afrique au bout de 1 ou 2 voyages seulement. Et c’est par la rencontre réelle que vous pourrez assurer vos partenaires de votre sérieux… Pour ma part, hors période actuelle bouleversée par le covid-19, je m’y rends au moins 3 ou 4 fois par an. Sauf lors des périodes électorales, pour lesquelles j’évite toujours les quelques mois précédant les élections. » Se rendre sur place vous permettra également de développer votre carnet d’adresses locales, « sans lequel on ne peut rien faire », confirme-t-il.  « S’il est nécessaire d’être introduit par une tierce personne, les accès aux ministères, secrétaires d’Etat sont assez faciles, et très utiles pour atteindre les présidents des fédérations (notamment agricoles), et pour faire des affaires. »

 

Pour aller plus loin

Malgré des aléas climatiques, sanitaires et sécuritaires, les perspectives du déploiement agricole et agroalimentaire de l’Afrique et le courage de populations déterminées et inventives nous incitent à faire preuve d’humilité et nous donnent envie de prendre part au développement de ce continent.

Dans le cadre d’un projet soutenu par le ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, nous nous apprêtons, à Vitagora, à ouvrir un bureau au Rwanda, à Kigali, véritable porte d’entrée sur l’Afrique de l’Est. En étant présents sur ce secteur en pleine mutation et à fort potentiel de croissance économique et démographique, nous allons pouvoir y accompagner les PME agroalimentaires dans leur projet à l’export et pour les préparer au marché européen. Nous serons présents sur place pour connaitre la zone et le marché (consommateurs, tendances…) afin d’accompagner au mieux nos adhérents. Nous y accompagnerons également les start-ups et acteurs économiques locaux dans leur développement et le renforcement de leur compétitivité, et y animerons un écosystème d’innovation qualifié et dynamique, autour de notre programme ToasterLAB, pour créer de la valeur et participer au développement économique et social du Rwanda.

Pour en savoir plus sur l’ouverture de notre bureau au Rwanda, vous pouvez me contacter par email : berengere.moindrot@vitagora.com. Et pour continuer votre veille en innovation agroalimentaire, abonnez-vous à notre blog pour ne manquer aucune publication (environ 2 à 3 e-mails par mois) !

3 commentaires

Partagez votre opinion

Vikixsm

28 septembre 2023 à 06h44

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Berengere MOINDROT

18 juin 2021 à 02h18

Bonjour, merci pour votre commentaire et cette information complémentaire. L'Afrique est en effet un terrain de promesses mais pour ceux qui sauront écouter et adapter. Le développement en Afrique: un défi passionnant et impliquant!

Villatte

18 juin 2021 à 12h39

Je suis d'accord avec l'ensemble de ce qui est dit ,mais il faut proposer des technologies avancées ,mais "rustres" pour faire avancer les participants à l’évolution du pays ! Voir par exemple ; le BIOCHAR ,www.pro-natura.org ,il y a une usine à St- Louis (Senegal ) ,avec Mr Guy Reinaud .

LE COVID-19 : INFORMATION IMPORTANTE

Compte-tenu des mesures prises par le gouvernement, concernant la situation sanitaire liée à la propagation du virus COVID-19, toutes les réunions physiques, manifestations, et visites en entreprise sont à nouveau suspendues à partir du vendredi 30 octobre 2020 à minima jusqu'au 1er décembre.

Cependant, tout comme lors du confinement de printemps, toute l’équipe Vitagora adopte des mesures de télétravail et reste entièrement disponible pour répondre à vos questions et demandes liées aux services et actions proposés par Vitagora.

Nous vous rappelons qu’une cellule de crise au sein de Vitagora liée à l’impact du COVID-19 sur l’activité de nos entreprises agroalimentaires régionales, en lien avec l’ANIA et les autorités régionales, est toujours en place.

Vous pouvez joindre cette cellule de crise pour toute demande relative à ce sujet au 06 72 39 66 96, Tom Vaudoux, ou par email, au elisabeth.lustrat@vitagora.com.

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